"Ce n’est pas anodin, même malade, de venir sur son lieu de travail pour se jeter par la fenêtre"

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Dimanche dernier, le professeur Christophe Barrat, responsable de chirurgie bariatrique et métabolique du groupe hospitalier Paris Seine-Saint-Denis de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP), s'est donné la mort en se défenestrant du haut de son bureau au centre hospitalier Avicenne (Saint-Denis). Le Dr Christophe Prudhomme, médecin urgentiste au CH Avicenne et responsable CGT, nous livre sa version des faits. 

"Ce n’est pas anodin, même malade, de venir sur son lieu de travail pour se jeter par la fenêtre"

What's up Doc. Un chirurgien vient de se défenestrer sur son lieu de travail, l’hôpital Avicenne, habillé en tenue professionnelle. Ce praticien était atteint d’un cancer, mais il s’est quand même donné la mort sur son lieu de travail. Comment interprétez-vous cela ? 

Dr Christophe Prudhomme. La décision de se donner la mort est souvent liée à plusieurs facteurs. Mais je suis outré par la communication de l’hôpital qui parle d’une longue maladie…Ce collègue était en effet atteint d’un cancer, découvert récemment, il était en traitement… Je trouve assez scandaleux que l’on se défausse de cette manière. Car nous sommes actuellement dans un contexte à l’hôpital public, notamment à l’AP-HP, soumis à des restructurations, à des plans d’économie, qui nous rendent la vie impossible. Il faut savoir que le professeur Christophe Barrat, avait vu son service fermer il y a quatre ans à l’hôpital Jean Verdier. Il avait été obligé de se déplacer à Avicenne dans des conditions difficiles, conflictuelles… Le service qu’il dirigeait à Jean Verdier était considéré comme un service d’excellence. Il n’a pas pu retrouver ce rang quand il a été obligé de fusionner avec Avicenne. Nous sommes actuellement dans un hôpital avec une direction administrative et médicale, qui est très autoritaire, restructure à la hache. Nous avions connu une situation comparable avec le responsable de la réanimation de Jean Verdier qui avait été traité de manière très brutale par la direction, qui était en arrêt maladie, et qui quitte l’hôpital pour se reconstruire ailleurs et se sauver. On ne peut pas accepter que la direction évoque une longue maladie alors que le contexte aujourd’hui à l’hôpital entraine des risques psycho-sociaux qui entraine des suicides très importants. Ce n’est pas anodin, même si on est malade, de venir sur son lieu de travail, habillé en tenue professionnelle et se jeter par la fenêtre de son bureau ! 

Je suis outré par la communication de l’hôpital qui parle d’une longue maladie

 

 

Wud. Avait-il fait part de difficultés auparavant ? 

Dr C. P. Ah oui, bien sûr, les difficultés de son service étaient connues à l’hôpital ! La stratégie de la direction est d’opposer les médecins entre eux pour mieux régner ! Martin Hirsch et un certain nombre de ses directeurs d’établissement créent une situation qui met un certain nombre de personnes dans des situations psychologiques difficiles.  Nous avions dénoncé il y a quelques années auprès de Marisol Touraine le fait que la situation à l'assistance publique de Paris, en terme de risques psychosociaux, était pire que celle d’Orange à ses heures les plus sombres ! Et la situation s’aggrave d’année en année ! Nous connaissons une véritable crise à l’hôpital créée par une restructuration à la hâche : on ferme des lits, on ferme des hôpitaux, on ferme des services. On ne parle que des plans d’économie ! On vient de m’envoyer une coupure de presse évoquant une patiente qui a préféré quitter un établissement public car les conditions d’accueil étaient indignes !

 

Wud. Agnès Buzyn a lancé un plan Ma santé 2022 pour répondre au malaise hospitalier. Qu’en pensez-vous ? 

 

Dr C. P. Mais le plan Ma santé 2022, c’est 4 milliards d’euros d’économie dans les hôpitaux ! Quand on sait que dans le budget d’un hôpital, les dépenses, c’est le salaire, alors faire des économiers équivaut à des suppressions de poste ! Nous n’arrêtons pas de fermer des hôpitaux et des maternités ! À Creil, on a fermé une maternité de niveau 3 qui fait 1500 accouchements ! La logique que nous imposent tous ces beaux discours de Mme Buzyn, d’Edouard Philippe et consorts, c’est une réduction drastique des services publics ! La dette que l’on va laisser à nos enfants, ce sont des morts sur des brancards comme à Lariboisière, et des suicides de personnel !

 

Wud. Comment cela s’est-il passé à l’hôpital Avicenne, après le suicide du professeur Barrat ? 

 

Il y a eu un CHSCT hier, et nous réclamons pour la CGT qu’une enquête sur les risques psycho-sociaux soient menée à l’hôpital pour l’ensemble des personnels. Il faut mettre en lumière le fait que l’une des principales causes du malaise hospitalier vient du management agressif, harceleur mis en oeuvre par un certain nombre de directions administratives et médicales. Je désigne clairement Martin Hirsch qui restructure à la hâche et ferme des services. Il réduit le nombre de lits, veut se débarrasser de la prise en charge des personnes âgées, pour se concentrer sur des services à haute valeur ajoutée, dans le cadre de la compétition internationale, afin d'accueillir des malades à portefeuille bien garnie venant de l’étranger. Ce n’est pas ma conception de la médecine, mais c’est celle de Martin Hirsch. Et nous la contestons. Il faut arrêter de massacrer l’hôpital public. 

Qui était le professeur Christophe Barrat ?

Le professeur Christophe Barrat a intégré l'AP-HP en mai 1993 en qualité d'interne puis de chef de clinique assistant à la Pitié Salpêtrière. Chef de service de chirurgie digestive et métabolqiue de l'hôpital Jean Verdier, Il a été nommé PU-PH en 2003. Entre 2011 et 2017, il était chef de pôle AIAN (activités interventionnelles et nutritionnelles). Il était âgé de 57 ans et "luttait depuis plusieurs mois contre une maladie grave", selon la direction de l'AP-HP, à savoir le cancer. 

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