« Mon statut de médecin rassure les clients que je tatoue »

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Un médecin, un artiste : Ève De la Guerrande est médecin généraliste en Bretagne, mais elle est aussi une artiste aux multiples facettes. À 28 ans, elle s’est déjà lancée dans de nombreux projets artistiques et s’est notamment formée au tatouage. Si l’art occupe une place centrale dans sa vie, il lui permet aussi de trouver son point d’équilibre. Une juste façon de nous prouver qu’on peut pratiquer la médecine en accord avec qui l’on est et ce vers quoi on aspire.

« Mon statut de médecin rassure les clients que je tatoue »

Ève De la Guerrande, médecin et tatoueuse.

© DR.

What's up Doc : Quel a été ton parcours ? 

Eve De la Guerrande : Je viens d’une terminale L spé Art, option Art et j’ai fait une première S. Je rêvais d’être illustratrice médicale, alors j’ai tenté médecine. Pour y arriver, j’ai beaucoup travaillé, en mettant complètement de côté l’art. Mais je me suis vite rendu compte, à la fin de mes études, que je n’étais pas complètement à ma place... 

Comment l’art est-il revenu dans ta vie ? 

EDLG. : C’est surtout à la fin de mes études que j’ai renoué avec le milieu artistique. J’ai réalisé ma thèse sur le tatouage de reconstruction mammaire. Dans cette thèse, j’ai voulu faire un état des lieux du tatouage médical et non médical, un sujet peu connu. Et je me suis remise à m’intéresser à tout ça, à peindre, à dessiner, et j’ai surtout découvert le milieu du tatouage. 

Comment as-tu intégré cet univers ? 

EDLG. : Dans le tatouage, il n’y a pas vraiment d’école : tu cherches un maître qui te fait confiance et tu deviens son apprenti. Tu le suis, comme un externe, tu regardes, tu t’entraînes, tu apprends. Je me suis formée auprès de lui. J’y suis allée sur mes jours off, mes jours de congés. Comme tous les métiers de l’artisanat, ça ne s’apprend pas en trois jours, c’est très progressif. Actuellement j’y consacre un tiers de mon temps. Cette formation, c’était la meilleure chose que j’ai faite.

Médecin et tatoueuse

« En tant que médecin, j’ai aussi une responsabilité un peu plus lourde face à des projets de tatouage, je dois mettre des garde-fous lorsque quelqu’un n’est pas sûr de son projet. »

Qu’est-ce que ça fait de tatouer directement une peau ? 

EDLG. : En peinture, le support est fixe, plat, régulier, immobile et on peut changer facilement de pinceau. En tatouage, ça n’a rien à voir. Les gens ont un vécu, une peau différente, une sensibilité, une sudation variable : il faut s’adapter au relief, au grain de peau et à la zone du corps. Il faut tendre la peau en permanence. C’est très technique et la technique n’est jamais fixe, car elle dépend vraiment des gens qu’on tatoue. Par ailleurs, un tatouage, ça reste une substance qu’on met sous la peau, et qui a une temporalité unique. En tant que médecin, j’ai aussi une responsabilité un peu plus lourde face à des projets de tatouage, je dois mettre des garde-fous lorsque quelqu’un n’est pas sûr de son projet. 

Tu fais du tatouage de reconstruction mammaire ? 

EDLG. : Oui, il y a le côté geste technique que j’aime beaucoup évidemment mais aussi le côté artistique, puisque dessiner un mamelon est quelque chose de finalement assez complexe, avec les jeux de lumières pour l’effet 3D, et chaque mamelon est différent. Ça allie aussi le côté soin et humain que j’affectionne. Je me suis un peu battue pour voir comment je pouvais faire ça en tant que médecin généraliste, car c’est parfois difficile de trouver sa place dans ce milieu-là. Maintenant, les vendredis après-midi, je ne fais que du tatouage de reconstruction mammaire. 

« Savoir que je suis médecin aident certains clients à passer le cap. Le tatouage ce n'est pas qu'un truc de loubard ! »

Tatoueuse et médecin ce n’est pas commun, comment réagissent tes clients ? 

EDLG. : Ils ne le savent pas tous, mais certains, ça les aide à passer le cap de savoir que je suis médecin. Je suis super contente d’apporter aussi cette image-là. Le tatouage ce n’est pas qu’un truc de loubard qui fait peur, on peut aussi avoir une petite jeune, toute gentille. Ça me fait plaisir qu’ils puissent y accéder parce que mon statut les rassure. 

Que t’apporte l’art dans ton métier de médecin généraliste ? 

EDLG. : J’aime la médecine générale mais pas dans son entièreté. Le côté scientifique et accompagnement des patients j’adore mais je ressens toujours de la frustration, car j’ai l’impression que je n’ai jamais assez de temps. On est formaté à aller vite : j’ai besoin d’avoir du temps avec mes patients. Lorsque je tatoue je passe des heures entières avec les gens, ça fait du bien d’avoir du temps.
Par ailleurs, j’utilise surtout le côté créatif dans mes explications et l’abord du patient, le côté́ imagé, familier et spontané, celui que je cultive avec l’art, ça m’aide, et ça permet de mieux faire passer des messages en consultation. 

En quoi ton métier de médecin t’aide dans ta pratique de tatoueuse ? 

EDLG. : Le côté connaissance du corps et de l’humain m’aide beaucoup. On met des années à bien savoir communiquer avec un patient en médecine, mais c’est un vrai outil car cela me permet d’accompagner les gens de manière adaptée. En tatouage, parfois les gens ont envie de discuter, parfois non, c’est très variable, il y a beaucoup de silences aussi. Certains racontent leur histoire, d’autres sont très pudiques, il faut constamment s’adapter, comme en médecine. aLe tatouage c’est tout un processus, c’est un cheminement qui n’est jamais anodin. On a parfois tendance à banaliser le tatouage, comme un truc à la mode, alors que pas du tout, il y a énormément, de gens qui sont dans un passage de cap, une symbolique. 

Médecin et tatoueuse

« Je ne pourrais jamais faire du tatouage en effaçant ce que j’ai appris en tant que médecin. »

Si tu devais choisir entre art et médecine ? 

EDLG. : Je ne pourrais jamais faire du tatouage en effaçant ce que j’ai appris en tant que médecin. Ça fera toujours partie de moi et ça a toujours fait partie de moi. Pendant au moins 10 ans, je n’ai pas vraiment trouvé ma place, et là je la trouve enfin, parce que justement j’ai un pied dans chaque discipline. J’ai beaucoup eu peur au départ, je ne pensais qu’à cette médecine technique, infaillible, où il faut connaître tous les bouquins par cœur, avoir réponse à tout. Maintenant je me dis que je suis surtout un médecin qui aime le côté humain, la physiologie, l’éducation en santé, l’accompagnement de l’autre et je trouve là-dedans mon équilibre ; je ne le retrouverais pas dans l’une ou l’autre discipine séparément. 

https://www.whatsupdoc-lemag.fr/article/un-medecin-un-artiste-dans-la-chirurgie-orthopedique-deja-cest-le-cote-bricoleur-qui-ma-plu

Un message aux médecins qui n’osent pas se lancer ? 

EDLG. : La médecine générale est infinie, on peut l’adapter et être le médecin qu’on veut. La médecine nous formate beaucoup trop pour entrer dans une case, devenir un type de praticien. On a le droit de s’écarter du chemin. Il faut se questionner : Qui suis-je ? Quelle est ma personnalité ? Qu’est-ce qui m’intéresse vraiment ? Et adapter son activité à tout ça : car on ne sera jamais meilleur qu’en écoutant qui l’on est ! 
 

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