Les violences conjugales ne doivent plus être un secret, même médical !

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Le 10 février dernier, le protocole permettant aux médecins de signaler des victimes de violences conjugales sans recueillir leur consentement a été signé dans les Bouches-du-Rhône. Comment s’applique-t-il ? Que se passe-t-il après le signalement ?

Les violences conjugales ne doivent plus être un secret, même médical !

« Les deux spécialités qui côtoient le plus de femmes victimes de violences conjugales, ce sont la médecine généraliste et la médecine légale », déplore le Dr Marie-Pierre GLAVIANO-CECCALDI, vice-présidente du Conseil national de l'Ordre et présidente du Comité national des Violences Intra-Familiales (CNVIF).
 
En sa qualité de professionnel de confiance et qui doit protéger ses patientes, il semble naturel que le médecin se trouve impliqué dans la lutte contre les violences conjugales.
 
Ainsi, « le 19 décembre 2019, le Conseil national de l’Ordre des médecins a choisi de soutenir la possibilité pour le médecin du signalement de violences sans le consentement de la patiente, lorsque celui-ci est impossible à obtenir », nous explique Marie-Pierre Glaviano-Ceccaldi.

Un danger immédiat et une emprise
 
Quels sont les éléments requis pour ce signalement ? « Le professionnel estime en conscience que la victime est en danger immédiat et sous l’emprise de l’auteur. La femme arrivée au bout de son parcours », détaille Marie-Pierre Glaviano-Ceccaldi.  
 
« Pour accompagner la réforme de l’article 226-14 du Code pénale, le CNVIF a travaillé avec de nombreuses institutions, notamment le ministère de la Justice et HAS. Cela a abouti à la réalisation d’un Vade-mecum, petit ouvrage qui réunit les outils d’aide à la décision, qui propose un modèle de signalement type, une note explicative du signalement, le circuit juridictionnel détaillé, ainsi qu’une grille permettant de reconnaître un danger immédiat et une grille pour identifier l’emprise », précise-t-elle.
 
Pour mettre en place ce protocole, 3 sites pilotes ont été choisis. « Nous avons choisi trois territoires différents. La 1ère signature, s’est faite dans les Bouches-du-Rhône le 10 février, il s’agit d’une grosse agglomération avec plusieurs parquets, cet exemple illustre un cas complexe sur le terrain au niveau des instances juridiques. Le 2ème exemple concerne un territoire de taille moyenne, avec beaucoup de ruralité, le Puy-de-Dôme. Là il y a un seul parquet mais la complexité vient de la ruralité. Le médecin de famille est seul face à la victime et l’auteur, qu’il soigne souvent également. La 3ème signature se fera sur un territoire mixte, la région de Pau. Elle comprend plusieurs parquets et amène à réfléchir à cette concertation entre le secteur libéral, l’hôpital, et le Parquet. Ces 3 signatures pilotes vont nous permettre de réaliser tous les outils à disposition des Conseils Départementaux de tous les médecins de l’Ordre. Ces outils seront ainsi adaptés en fonction du territoire », explique la présidente du CNVIF. « Courant avril, tous les Conseils Départementaux de l’Ordre des médecins disposeront de leurs outils pour constituer ce protocole, et auront un référent violences ».

Il y a des indices qui ne trompent pas : une femme qui n’a plus sa carte d’identité, plus de carte bancaire, qui a des difficultés pour sortir de la maison... Le policier aura suffisamment d’éléments pour prendre la situation en considération.

De son côté, Eric Florentino, responsable du service formation au sein de l’association SOS Femmes à Marseille soulève une inquiétude : que faire si la femme ne veut pas se faire aider ? « Les femmes victimes de violences se confient à leur médecin, il y a un risque qu’elles ne veuillent plus le faire si leur dialogue n’est pas couvert par le secret médical. Prenons l’exemple d’une violence signalée, la justice est saisie, la police se rend au domicile, et la femme dit qu’il n’y a pas de problème et il n’y pas de violence à constater sur le moment. Résultat, elle n’ira plus voir le médecin », s’inquiète Eric Florentino.   
 
Face à cela, Marie-Pierre Glaviano-Ceccaldi mise sur l’implication des services de police-justice. « Un signalement fait par un médecin auprès du procureur signifie que la situation est grave et que la femme ne peut pas apparaître comme une personne sans difficulté. Et il y a des indices qui ne trompent pas : une femme qui n’a plus sa carte d’identité, plus de carte bancaire, qui a des difficultés pour sortir de la maison... Le policier aura suffisamment d’éléments pour prendre la situation en considération ».  
 
Concernant la relation de confiance entre le médecin et sa patiente, la présidente du CNVIF rappelle qu’il est « fortement conseillé d’essayer d’obtenir l’accord de la victime et obligatoire de l’informer de son signalement. Lorsqu’on en arrive au stade du signalement, la femme est complètement enfermée et paralysée, sur la fin du parcours, le médecin a des craintes fondées de ne plus la revoir le lendemain et elle n’est plus en mesure de prendre ses décisions elle-même ».

Ensuite, il faut évidemment expliquer à la patiente ce que cela implique concrètement pour elle. « Une fois que le professionnel a informé de la démarche qu’il va faire auprès du procureur, il va donner les coordonnées des associations compétentes. Il explique que la victime va être contactée par un service d’enquête », poursuit-elle. 

Quels délais de prise en charge après le signalement ? 

En revanche de ce côté-là, difficile d'obtenir une réponse quantifiée. « Le procureur va diligenter toutes les mesures pour une mise en protection, le médecin va pouvoir alerter en cas d'urgence extrême. Il aura un accusé réception du traitement du signalement et ensuite il va pouvoir avoir un retour de ce traitement. Les deux signataires sont des gens de territoire, le procureur du parquet et l'ordre des médecins, il y a signalement type qui se fait par courrier électronique et un intitulé du mail qui formalise l'urgence. Le procureur signataire s’est engagé à agir vite», poursuit Marie-Pierre Glaviano-Ceccaldi. Le vade-mecum relate quant à lui le circuit juridictionnel enclanché par le signalement en 8 étapes : 

  • 1 - Envoi du siganelement ; 
  • 2 - Prise en compte du signalement ; 
  • 3 - Prise en charge de la victime en urgence ; 
  • 4 - Enquête ; 
  • 5 - Evaluation du danger ; 
  • 6 - Orientation de la procédure ; 
  • 7 - Protection de la victime (dès le signalement et tout au long de la procédure) ; 
  • 8 - Informations sur les suites du signalement. 

Un médecin peut-il être tenu responsable s'il ne signale pas ? 

« A partir du moment où il s’agit d’une estimation en conscience, ce n'est pas une obligation et donc il n'y a pas de responsabilité. C'est une situation complexe et le professionnel peut se tromper dans un sens ou dans l’autre. Il s'agit bien d'une intime conviction et pas d'une science, » précise Marie-Pierre Glaviano-Ceccaldi. 

En amont, former et sensibiliser les professionnels de santé 

Défendre une femme au bout de son parcours est nécessairement capital, puisqu’il s’agit de la lutte contre les féminicides. Mais cela ne doit pas être l’unique recours. « C’est bien de mettre en place ce protocole, mais il faut que ce soit accompagné de plus d’outils en amont. Cette possibilité vient quand une situation devient urgente et dangereuse mais à ce moment-là, le médecin connait souvent la femme depuis des années. Donc cela ne doit pas faire oublier le besoin impératif de sensibiliser et former les professionnels de santé à ces problématiques pour éviter les situations d’urgence », précise Eric Florentino.
 
Le CNVIF abonde en ce sens. « Dans ces protocoles nous avons insisté sur la nécessité d’une participation avec le Procureur pour réaliser des journées de sensibilisation pour s’emparer des outils mais aussi avoir une action de prise en charge en amont, qui n’est pas forcément le signalement. »
 
Car tout ce travail en amont est capital et s’inscrit encore trop peu dans la réalité selon Eric Florentino. « Dans le questionnaire habituel fait à la patiente quand on repère des indicateurs, il faut interroger aussi le climat à la maison sans que ce soit perçu comme une intrusion, il faut aborder les choses tranquillement. Lorsque l’on interroge sur le climat familial, régulièrement les gens parlent, souvent de manière pudique, alors il faut tirer les fils, savoir adopter une bonne posture, activer les structures locales, préparer une prise en charge, et ne pas braquer la victime. C’est pour cela qu’il y a un besoin de sensibilisation des médecins à ces problématiques. »

Une question de santé publique 
 
Autre problème, les moyens mis à disposition des associations pour la prise en charge de ces femmes. « La question de la prise en charge des violences conjugales avance bien au niveau juridique, il y a eu une réelle prise de conscience. Mais plus de gens en prennent conscience, plus on en parle et plus il y a de demandes pour se mettre à l’abri. Or pour y répondre nous avons besoin de places. Chez SOS Femmes Marseille, nous disposons de 70 lits. Une femme qui vient avec 4 enfants a besoin de 5 lits, donc on héberge environ 25 femmes. On en reçoit environ 2000 chaque année. Certes pas toutes n’ont besoin d’un hébergement mais nous ne pouvons pas répondre à toutes les demandes. On travaille en collaboration avec toutes les structures de la région pour faire au mieux », explique Eric Florentino.  
 
Avant de conclure « la force de ce protocole est de diffuser l’information. Maintenant il reste tout un volet à renforcer, en amont, comme par exemple prévoir des formats de sensibilisation adaptés aux emplois du temps chargés des professionnels de santé et de permettre d’intégrer pleinement que la lutte contre les violences conjugales est une question de santé publique ».
 
 
 

Source:

  • Entretien avec le Dr Marie-Pierre GLAVIANO-CECCALDI, vice-présidente du Conseil national de l'Ordre et présidente du Comité national des Violences Intra-Familiales (CNVIF).
  • Entretien avec Eric Florentino, responsable du service formation au sein de l’association SOS Femmes à Marseille. 
  • Secret médical et violences au sein du couple - Vade-mecum de la réforme de l’article 226-14 du code pénal. 

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