La télémédecine : Oui, mais...

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La télémédecine propose incontestablement une nouvelle forme d'exercice. Malheureusement, le cadre qui la régit est encore bien flou...

La télémédecine : Oui, mais...

Même si cela fait longtemps que la télémédecine existe – officiellement depuis 1920 à New York, date de la première radio de service médical sur des bateaux – cela n’a pas permis son émancipation majeure jusqu’ici. Dans les faits, aujourd’hui, le médecin intéressé par le développement d'un tel service devra se confronter à des politiques placides et une Sécurité sociale peu coopérante.

Le système français lui-même ne serait pas propice au développement de la télémédecine comme l’explique Didier Tabuteau, responsable de la chaire Santé de Sciences Po Paris : « le système français s’est construit sur des praticiens isolés depuis la Révolution française. L’État a fait le choix de privilégier le médecin individuel, qui était le plus souvent le médecin de campagne. La France n’est pas adaptée à la télémédecine car la structure n’est pas adaptée. Il s’agit d’un obstacle culturel auquel s’ajoute des textes de loi qui ne sont pas favorables à son développement ».

Les efforts de développement de la télémédecine sont principalement concentrés sur les CHU et centres hospitaliers, ce qui est logique pour Didier Tabuteau, puisque l’hôpital reste administré par l’État et donc demeure sous sa mainmise : « pour la médecine ambulatoire, il faut que les syndicats se mettent d’accord sur un système de paiement, au titre de négociations conventionnelles ».

« UN MÉTIER QUI N’INNOVE PAS EST VOUÉ À DISPARAÎTRE »

C’est cette idée de l’économiste Schumpeter que le Dr Patrick Gasser, président de l’Union nationale des médecins spécialistes confédérés de la CSMF, exprime d’abord avant de poursuivre : « On ne peut pas être contre la télémédecine, lance-t-il. Elle répond à de vrais problèmes, à commencer par l’accessibilité aux soins mais aussi pour une prise en charge des patients plus efficiente et plus productive. » D’aucuns agitent le spectre de la fidélité qui se tisse entre le médecin et le patient. Dans le cas de la télémédecine, faut-il suivre uniquement ses propres patients ? À cet égard, le Dr Gasser estime : « C’est plus facile si le patient est connu, mais ce n’est pas une obligation. Le modèle de demain sera celui qui sera plébiscité à la fois par les médecins et par les patients ».

Quant à l’aspect déontologique, la question se pose bien sûr au CNOM, qui publie notamment un livre blanc en septembre 2014. « En aucun cas on ne peut mettre en avant la déontologie comme argument pour freiner le progrès », martèle le Dr Jacques Lucas, vice-président du CNOM, également délégué général aux Systèmes d’information en santé. « La télémédecine est de la médecine, mais sous une autre forme ».

TROP DE LOIS… TUENT LA JOIE D’ENTREPRENDRE

Là est le nerf de la guerre : d’un côté, certains médecins de bonne volonté ; de l’autre un cadre légal pesant… donnant raison à tous ceux de mauvaise volonté. Pour chaque projet de télémédecine, le praticien doit se référer à une ARS en termes d’autorisation, sachant qu’il faut ensuite rechercher des subventions puisque la télémédecine n’est pas prise en charge par la Cnam… Et les médecins se sentent parfois bien seuls, comme l’indique le Dr Lucas : « l’État n’avait pas de plan numérique avant la stratégie nationale de santé de 2013. Faute de trancher, l’expérimentation avait été choisie, engendrant des dépenses publiques. » À noter que ces expérimentations n’ont pas vraiment profité aux médecins libéraux. « On ne fait pas évoluer une profession par décrets et par des lois ! » s’indigne le Dr Gasser, avant de poursuivre : « Encore aujourd’hui, ce sont plutôt les structures publiques qui bénéficient des programmes de télémédecine. Alors que les politiques affirment vouloir faire de l’ambulatoire, on recentre toujours sur l’hôpital* au détriment du libéral, trop mis à l’écart… »

DES INITIATIVES LOCALES MAIS PAS DE GÉNÉRALISATION POUR L’INSTANT

En matière de politique, car il s’agit bien de cela,  les ARS, la Sécu et le ministère des Affaires sociales et de la Santé ont l’air de se renvoyer la balle. N’oublions pas qu’il s’agit de dépoussiérer un mammouth administratif… et que le mouvement est en marche depuis 2008 – et même avant –…

Rappelons aussi que pour l’heure, le CNOM a frileusement accepté la prescription par e-mail, avec le cas d’Axa. Une situation qui remet en question l’indépendance des médecins dès lors employés par une compagnie d’assurance privée, ce qui n'a pas tant été questionné par l'Ordre…**.

Loin d’être un sujet clos ! Le mot de la fin pourrait revenir au Dr Lucas : « Les choses sont en train de changer, et face à cela il y a deux attitudes en tant que médecin : soit je ne m’en occupe pas et je reviendrai quand ça marchera, soit je m’en occupe maintenant et je participe à l’évolution de la médecine ». On aurait aimé peut-être plus d’engagement de l’Ordre sur ce point-là.

LES 4 CHAMPS DE LA TELEMEDECINE***

La téléconsultation
C’est une consult’ à distance entre un patient et un professionnel de santé. Pendant la téléconsultation, un infirmier, un manip' radio ou autre peut être présent et avoir un rôle d’assistance. Tous les moyens techniques peuvent être utilisés du moment qu’il existe une interaction médicale.

La télé-expertise
Cet acte permet à un médecin de solliciter à distance l’avis d’un ou de plusieurs confrères, en s’appuyant sur les informations médicales liées à la prise en charge du patient (données cliniques, radiologiques, biologiques…).

La télésurveillance médicale
C’est la collecte et l’interprétation à distance des données nécessaires au suivi médical d’un patient.

La télé-assistance médicale
Elle permet à un médecin d’assister un confrère à distance, à l’occasion d’un acte médical ou chirurgical ; la réponse médicale quant à elle constitue la réponse apportée par un médecin dans le cadre de la régulation médicale (Samu).

Source:

* Pour illustrer les propos du Dr Gasser, la vidéo de présentation de la DGOS sur la télémédecine est assez éloquente… www.leciss.org/telemedecine
** www.conseil-national.medecin.fr/sites/default/files/cnom_ teleconsultations_assureur_prive.pdf
***inspiré du site TSBN www.telesante-basse-normandie.fr/

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