Continue de pleurer, Penelope

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Critique de "L'Immensità", de Emanuele Crialese (sortie le 11 janvier 2023). Rome, dans les années 70, période où la mutation de la société se heurte au poids des traditions.

Continue de pleurer, Penelope

Dans ce tumulte, Emanuele Crialese se focalise sur une famille moyenne, et notamment les deux membres qui en sont les plus éprouvés : Clara, épouse fantasque et délaissée, ainsi qu'Adri, l'aînée, qui revendique son genre masculin à une époque où la déviation était forcément déviance... Une tranche de vie sensible mais hélas un peu trop lisse. 

Emanuele Crialese revendique la part autobiographique de ce récit qui navigue constamment entre un quotidien sclérosé, souvent entr'aperçu et jamais ausculté outre mesure, et une rêverie propre à tout enfant souhaitant échapper à sa réalité. Et pour Adri, il ne reste pas grand chose à quoi s'accrocher. La première belle idée du film est de garder à tout prix le contact avec cette part de rêve, synonyme d'espoir, mais aussi d'un certain déni. Cette ambivalence est au coeur de la construction identitaire, quelle qu'elle soit, et les destinées de cette mère qui échoue à concrétiser son désir d'affranchissement et de son ado qui semble malgré tout apprendre de tout cela, au prix de la perte d'une certaine innocence, l'illustrent parfaitement.

La deuxième belle idée, c'est d'avoir choisi Penelope Cruz pour passeuse entre ces deux univers, la noirceur et la lumière. Bonne fée rappelant les multiples figures maternelles mythiques du cinéma italien, elle impressionne par la spontanéité et la grâce qu'elle sait instantanément convoquer sans jamais occulter la douleur qui l'habite. Crialese n'a pas perdu son goût pour les portraits de femme au bord de la rupture, et l'on retrouve par moments chez Clara la mère borderline de Respiro.

Le film souffre hélas de cette comparaison, tant les nuances et la subtilité qui habitaient cette chronique sicilienne ont fait place, vingt ans plus tard, à une certaine dichotomie, accentuée par le surlignage de certains artifices de mise en scène. On eût souhaité que Crialese ne s’empêche pas autant d’aller un peu plus loin dans la description des nombreux termes qu'il aborde, et prenne plus le risque de la narration que de l'ébauche. Le spectateur en serait ressorti peut-être moins enchanté, mais également moins gagné par l'ennui.

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