L’argent en médecine : cachez ce fric que je ne saurais voir !

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Les médecins sont généralement considérés comme l’une des professions les plus favorisées sur le plan économique. Mais c’est un sujet dont nous aimons peu parler…

L’argent en médecine : cachez ce fric que je ne saurais voir !

« Je vois au moins un avantage au tiers-payant généralisé : je n’aurai plus à demander d’argent à mes patients ». Léa*, généraliste récemment installée dans l’Eure-et-Loir, le dit sur le ton de la confession : « À chaque fois, ça me gêne ». Même inconfort du côté d’Astrid*, jeune psychiatre parisienne. « Mon principal souvenir de rempla en libéral, c’est ma première demande d'argent pour la consultation » se souvient-elle. « J'étais très gênée, presque honteuse, j'avais du mal à trouver les mots, à savoir où mettre le chèque… »

Une vision du monde antiéconomique

Alors, la relation des praticiens à l’argent serait-elle le grand tabou de la médecine ? Pour le savoir, posons la question à des observateurs extérieurs, comme le sociologue et spécialiste des professions de santé Frédéric Pierru. Celui-ci récuse le terme de tabou, mais observe tout de même que les médecins s’appuient sur « une vision du monde antiéconomique qui les conduit, dans leurs discours, à une certaine dénégation de leurs intérêts matériels ».

En clair, les médecins n’ont pas de problème avec l’argent, c’est juste qu’ils n’aiment pas en parler car ils s’imaginent en serviteurs désintéressés de leurs patients. « Cette caractéristique est commune à tous les métiers constitués en profession », remarque le sociologue, « c’est-à-dire à ceux qui partagent trois caractéristiques : monopole d’une activité, autorégulation et forte autonomie dans la pratique quotidienne ».

Euphémisation du fric

Pour Patrick Hassenteufel, chercheur en sciences politiques, le terme de tabou est également trop fort pour caractériser la relation entre les médecins et l’argent : il pense qu’il faudrait plutôt parler d’euphémisation. Cet observateur avisé du syndicalisme médical prend l’exemple de la Charte de la médecine libérale de 1928, véritable fondement idéologique de la profession. « Celle-ci fonde le principe de la libre entente entre praticien et patient sur les honoraires, mais ce principe ne s’est jamais traduit par une revendication explicite en termes de revenus » remarque-t-il.

Les deux spécialistes reconnaissent que la difficulté que les médecins éprouvent à évoquer leur rémunération s’estompe au fil des générations. Plusieurs facteurs ont favorisé cette évolution, à commencer par le développement du système conventionnel. « Les syndicats sont en négociation permanente avec l’Assurance maladie, ce qui les a conduits à davantage assumer la dimension matérielle » remarque Patrick Hassenteufel. Frédéric Pierru est plus critique. « Tout se passe comme si les médecins déléguaient la responsabilité de parler d’argent à leurs syndicats ». À nous de reprendre la parole !

* Le prénom a été modifié.

 

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