La peur de l'engagement

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« Sans que nous nous en apercevions, un nouvel humain est né, pendant un intervalle bref, celui qui nous sépare des années 70 ». Cette espèce, parfaitement décrite par le philosophe contemporain Michel Serres, c’est… Nous !

La peur de l'engagement

Génération Y, Digital Natives, autant de termes qui décrivent la génération née entre 1980 et 1995. Quel rapport avec l’installation en libéral ? L’hypégiaphobie, autrement dit, la peur de l’engagement pardi ! Celle d’avoir à se dépatouiller, des années durant, avec un cabinet soumis à notre (unique) responsabilité.

 

TOUS HYPÉGIAPHOBES ?

Loin de nous l’idée de généraliser la phobie de l’engagement à tous nos pairs, mais la réalité est là. Qu’il s’agisse de peur à proprement parler ou de réticence à s’installer, les chiffres parlent d’eux-mêmes.

Selon l’Atlas de la démographie médicale en France de 2014¹, seulement 10,7 % des nouveaux inscrits au conseil de l’Ordre avaient privilégié un exercice libéral exclusif en janvier 2014. Pour la comparaison, plus des trois quarts des généralistes de la région Pays-de-la-Loire de plus de 55 ans, s’étaient installés à leur époque, il y a 25 ans, avant l’âge de 30 ans² !

 

JUSTE UNE QUESTION DE TEMPS

« Avouons-le, nous avons tous quelque part en nous la peur de nous engager », et c’est une jeune psychiatre qui vient de s’installer qui le dit. Mais si l’on en croit les chiffres du CNOM et de la MACSF³, ce serait juste un « retard à l’allumage ». Une fois inscrits au conseil de l’Ordre, les médecins mettraient en moyenne 5 à 10 ans avant de s’installer en libéral en nombre. Le parallélisme avec le mariage est tentant. Des années 80 à ce jour, l’âge du 1er mariage en France a reculé de 8 ans. Selon l’INSEE, il est aujourd’hui de 30 ans pour les femmes,

32 pour les hommes. Faut-il attribuer ce « retard » générationnel à l’unique peur de l’engagement ? Pas si sûr… Sans doute, la soif de nouveauté joue aussi. Sans doute, l’hédonisme également. Peut-être s’agit-il même d’un effet de l’allongement de l’espérance de vie, tout simplement. Les jeunes restent jeunes plus longtemps que leurs aînés. Le médecin n’est pas un marginal et son attitude au travail est celle d’un animal social comme les autres.

 

JE VOUDRAIS UN… CDD !

En amour comme au travail, avant de s’engager, on préfère prendre le temps.

Le temps de vivre plusieurs expériences, et de s’assurer du bon choix. En testant, notamment. C’est ainsi que le monde médical connaît depuis quelques années une recrudescence des emplois à durée déterminée : remplacements, contrats précaires, clinicat et assistanat sans suite hospitalière… Selon le sondage MACSF, près de 70 % des médecins remplaçants ont moins de 35 ans. Si ces statuts les font souvent râler, il faut reconnaître qu’ils les entretiennent dans leur retard à s’installer.

La société toute entière et, en particulier, le ministère de la Santé, la direction générale de l’Offre de soin, le Centre national de gestion qui gère les postes hospitaliers ont chacun leur responsabilité, permettant par exemple aux anesthésistes de jouer les surenchères dans une forme de mercenariat hospitalier, dénoncé récemment par le député et médecin Oliver Véran… en vain. Pour résumer, s’il était plus rentable de remplacer que de s’installer, pourquoi donc encore penser à l’installation ?

Source:

1. Atlas de la démographie médicale en France, situation au 1er janvier 2014, Conseil national de l’ordre des médecins
2. Motivations et Freins `a l’installation des médecins généralistes libéraux, Synth`ese de la littérature, décembre 2011, Observatoire régional de la santé d’Aquitaine
3. Sondage MACSF, Barom`etre des professionnels de la santé, mars 2013

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