Hugo Huon : "c’est quand même des médecins qui se battent pour la revalorisation des paramédicaux"

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Président du Collectif Inter-Urgences qui se mobilise depuis mars 2019 pour un sauvetage d'urgence de l'hôpital, Hugo Huon, infirmier, vient de publier un livre sur son combat, et celui des soignants engagés dans ce collectif. Une exhaustive collection de témoignages de soignants, mais aussi de médecins, sur la déliquescence de l'hôpital public. Pour WUD, il revient, entre autres, sur les relations complexes entre médecins et soignants. Interview. 

Hugo Huon : "c’est quand même des médecins qui se battent pour la revalorisation des paramédicaux"

What's up Doc. À qui est destiné ce livre ? Le grand public ? Les professionnels ? 

Hugo Huon. Ce livre est destiné plutôt au grand public, mais aussi aux professionnels de santé. Les situations évoquées feront écho à la majorité des soignants. Cela permettra de réaliser que la crise des hôpitaux est systémique, pour ceux qui en doutaient encore. Pour les citoyens, comme le gouvernement a un discours réducteur sur la réalité du travail hospitalier, nous avons décidé de nous réapproprier la parole pour dire ce que nous vivons. 

WUD. C’est un livre de témoignages, pourquoi n’avoir pas choisi de refaire l’histoire du Collectif Inter-Urgences ? 

H. H. Oui, c’était un parti pris d’escamoter cette histoire, car cela aurait pris du temps de l'écrire. En plus, c’est difficile de faire l’analyse tout en étant encore dans le mouvement. Cela nécessite d’avoir du recul sur les choses et cela ne pouvait pas se faire tout de suite. 

WUD. Vous passez en revue toutes les tares de l’hôpital en commençant par la violence infligée aux soignants mais aussi aux patients. Ça s’est aggravé ces dernières années ? 

H. H. Je pense que ces phénomènes de violence se sont aggravés. Je pense aussi qu’ils restent très sous-évalués. La cause est à rechercher du côté du gain de productivité en continu, donc les personnels sont sous pression en continu, la qualité des soins se dégrade, et cela crée de la violence. Par ailleurs, les urgences, c’est quand même le service par excellence où s’exprime le mieux la vulnérabilité sociale. Les usagers des urgences viennent décharger leur fardeau sur une institution malade, qui n’est pas en capacité d’encaisser cela : cela génère de la violence, aussi. 

Ce n’est pas à nous d’être à la fois lanceur d’alerte, et trouver des solutions

WUD. À la base de cette violence, il y a les décisions financières prises par les politiques : un Ondam qui se resserre, une loi HPST qui laisse toute liberté au directeur-patron. La solution à la crise de l’hôpital n’est-elle pas politique ? 

H. H. La cause est définitivement politique. Pour y répondre, nous avons pensé présenté des listes aux élections, mais finalement nous nous sommes dit que chacun devait faire son travail : ce n’est pas à nous d’être à la fois lanceur d’alerte, et trouver des solutions. Il y a des gens qui sont payés pour cela, c’est à eux de prendre leur responsabilité pour trouver des solutions. 

WUD. Avez-vous eu des points de convergence avec des formations politiques ?

H. H. Lors du vote de la LFSS 2020, toutes les formations politiques, hormis La République en marche et le Modem, ont demandé un Ondam rehaussé. 

WUD. Plus spécifiquement vous revenez sur les urgences, réceptacle de toutes les souffrances de notre sociéte, mais aussi 5e roue du carosse de la médecine libérale ? Comment changer la donne ?

H. H. La posture d’urgentiste est intéressante car elle questionne le fait social, comme l’institution hospitalière : nous avons ce double niveau de lecture. Mais c’est pire dans les autres services de l’hôpital. Dans le plan proposé par Agnès Buzyn, il est dit que 40% des passages aux urgences n’ont pas à y être. C’est faire fi de la réalité sociale. Car, quand on constate que les inégalités se creusent dans ce pays, que les classes moyennes décrochent, on peut être sûr que la fréquentation des urgences va être majorée. Choisir de dire que l’on va leur interdire l’entrée des urgences, pourquoi pas, mais le faire sans plan B, sans revaloriser l’hôpital, c’est dangereux, car si dans cinq ans, on s’aperçoit que ce plan n’est pas le bon, ce sera trop tard pour l’hôpital dans cinq ans !

Les plans qui sont proposés ne sont pas porteurs d’espoir

WUD. Pourtant depuis juin dernier, la ministre a annoncé trois plans pour l’hôpital. Ce n’est toujours pas suffisant ? 

H. H. Ce n’est pas suffisant et quand vous passez vingt ans à faire la culture de la terre brûlée, vous créez une culture de la défiance, et du ressentiment. Je vous prends un exemple. Si un directeur annonce qu’il prépare un plan de restructuration, vous vous dites : 1/ c’est pour améliorer la qualité des soins 2/améliorer la qualité de vie au travail ou 3/faire des économies. Tout le monde à l’hôpital vous dira que c’est pour faire des économies. L’hôpital est tellement désorganisé, la T2A a créé une telle concurrence qu’il ne peut y avoir de sortie par le haut que grâce à un message politique porteur d’espoir. Les plans qui sont proposés ne sont pas porteurs d’espoir. Quand serons-nous satisfaits ? Quand ce sera satisfaisant pour les patients. 

WUD. Le collectif Inter-Urgences est avant tout un collectif de soignants. Dans un chapitre, vous revenez malgré tout sur vos rapports avec les médecins. Des rapports de solidarité et de rivalité également…

H. H. Dans l’histoire, le paramédical s’est rapproché de la filière administrative et s’est éloigné du corps médical, via les fonctions de cadre, cadre de pôle, et directeur de soins. Sur les relations avec les médecins, ça a toujours été complexe. Si j’ai donné la parole à des soignants dans mon livre, c’est parce que j’en ai tant vu en réunions qui n’osent pas prendre la parole : ils ont peur de dire des bêtises alors qu’ils sont tout à fait légitimes pour prendre la parole. 

WUD. Quelles sont les relations du CIH (Collectif Inter-Hôpitaux), où prédominent les médecins, avec le Collectif Inter-Urgences ?

H. H. Le CIH s’est mis en place car on nous a demandé, quand notre mouvement s’est fait connaitre, de défendre tout l’hôpital. Ce n’est pas que nous ne voulions pas, mais nous n’étions pas légitimes en tant qu’urgentistes pour représenter tout l’hôpital. Donc nous avons accompagné les médecins volontaires pour qu’ils se structurent en collectif Inter-Hôpitaux. Donc nous avons de très bons rapports. Par ailleurs, nous espérions que les paramédicaux se bougeraient un peu plus dans le Collectif Inter-Hôpitaux, mais cela n’a pas été le cas. 

WUD. Les maux de l’hôpital ont-ils rapproché les corps soignants et médicaux ? 

H. H. Oui, c’est sûr, on le voit avec le collectif Inter-Hôpitaux : c’est quand même des médecins qui se battent pour la revalorisation des paramédicaux, en soi, c’est incroyable !! En revanche, entre médecins, il y a une distinction à faire entre ceux qui ont les mains dans le cambouis, et ceux qui ont des positions politiques, dans les chefferies… Et Agnès Buzyn écoute les patrons médecins, qui ne dialoguent d’ailleurs pas avec les médecins de terrain… 

WUD. Feriez-vous le même parallèle entre les « patrons médecins » et les cadres paramédicaux ? 

H. H. Non, car concernant les médecins, il s’agit beaucoup plus d’incompétence dans le management, et je le dis sans colère. C’est juste qu’il y a peu de formations en management proposées aux médecins. En revanche, on a transféré le poids de la dette sur les cadres de service : chaque année, on leur demande qui ils vont devoir supprimer. En école de cadre, on passe trois mois à vous traiter plus bas que terre, et on vous apprend ensuite pendant six mois à détruire des personnels… 

WUD. Vous évoquez aussi dans votre livre les mauvaises conditions de travail des soignants, la surcharge de travail, la perte de sens, le turn-over… C’est irrévocable ? 

H. H. Non ce n’est pas irrévocable, à deux conditions. Il faut répondre à nos revendications qui sont justes, comme les 300 euros d’augmentation pour les paramédicaux. La seconde condition, puisque l’on a gagné un gain de productivité, c'est de se mettre de nouveau autour de la table, et savoir quels sont les besoins pour la population à l’heure actuelle. 

​Si l’on perd, tout le monde perd

WUD. Quel est le bilan de l’Inter-Urgences aujourd’hui ?

H. H. Pour le nous, le collectif Inter-Urgences, ce sont des gens qui à la base partageaient la même analyse concernant nos conditions de travail, délétères, qui influaient sur la qualité des soins. Ce sont des professionnels qui ont analysé dans un premier temps, puis qui sont devenus des militants dans un second temps. Ce sont des professionnels qui partagent un constat, qui se rendent compte que le dialogue social ne marche pas, et qu’il faut passer par un conflit pour aboutir, notamment sur la question des salaires. Quoi qu’il arrive, quel que soit l’issue politique de ce mouvement, soit il y aura une majoration de la mobilisation, soit il y aura une majoration de la défection. L’enjeu est sur la qualité de soins et de prise en charge des patients. Si l’on perd, tout le monde perd. 

WUD. Et vous, personnellement, vous continuez le combat ? Vous annoncez que vous n’étes plus infirmier depuis janvier dernier...

H.H. Pour l’instant, je suis pris par la promotion de ce livre, l’organisation de la manifestation du 14 février et l’assemblée générale que nous allons organiser. Je n’ai pas le temps de penser à une reconversion tant que ce combat là existe. Je laisse passer ce moment, et je réfléchirai ensuite à mon avenir professionnel. 

Hugo Huon, le Collectif Inter Urgences. Urgences, hôpital en danger. Éditions Albin Michel. 

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