États-Unis : une exécution au Fentanyl controversée

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Et repoussée

États-Unis : une exécution au Fentanyl controversée

L'État du Nevada avait l'intention d'utiliser pour la première fois le fentanyl dans le cocktail de produits destinés à l'exécution d'un condamné à mort. Un juge en a décidé autrement : exécution repoussée.

Les États américains pratiquant encore la peine de mort rencontrent des difficultés grandissantes à faire appliquer les exécutions. Et ce n'est pas nécessairement en raison du travail de fond des associations abolitionnistes qui, pourtant, harcèlent les autorités et la justice sur tous les détails légaux possibles. Ces dernières années, les difficultés émanant de considérations beaucoup plus terre-à-terre ont émergé : les produits utilisés pour les injections létales sont de plus en plus difficiles à trouver.

C'est dans ce contexte que l'exécution de Scott Dozier, 47 ans, prévue pour le 11 juillet, a été repoussée sur décision de justice quelques heures avant le moment fatidique. Cet  ancien dealer de méthamphétamines, qui attend dans le couloir de la mort depuis 2007, devait recevoir une injection létale composée de trois produits, dont du fentanyl. Une première pour l'analgésique opioïde utilisé en médecine pour l'anesthésie ou dans la prise en charge des accès douloureux, mais qui fait la une des médias nord-américains pour son usage récréatif. Chaque année, il est impliqué dans la mort par overdose de milliers d'Américains et de Canadiens. Une première qui a focalisé l'attention et mené à ce report d'exécution par overdose.

Un kiff mortel

Scott Dozier a été reconnu coupable de deux meurtres, dont celui de l'un de ses anciens associés dans le crime, Jeremiah Miller, 22 ans. En 2002, son corps avait été retrouvé en morceaux dans une valise, à l'arrière d'un motel de Las Vegas. La mort de l'accusé avait été planifiée pour le 11 juillet à 20h30, heure locale, dans la prison d'Evy (Nevada). Mais la controverse et les actions visant à la bloquer s'étaient installées.

Les médias américains avaient largement relayé une information qui froisse nombre de leurs concitoyens et a suscité le débat : un condamné à mort allait recevoir une dose de drogue souvent utilisée à des fins récréatives. Avec cette réflexion quelque peu limitée : il n'est pas moral de lui administrer un produit associé au plaisir.

Mais en arrière-plan, ce sont bien les difficultés éprouvées par le système pénitentiaire à s'approvisionner en produits létaux qui ont lancé ce débat annexe. Et c'est d'ailleurs sur un autre produit du cocktail qui devait être injecté que l'annulation de dernière minute de l'exécution s'est jouée : le midazolam.

Les produits létaux sont nos amis pour la mort

L'hypnotique sédatif dérivé du groupe des imidazobenzodiazépines a fait l'objet d'un recours en justice déposé par son producteur, le laboratoire américain Alvogen. Celui-ci reprochait à l'État du Nevada de se l'être procuré en tentant de brouiller les pistes pour le laboratoire qui ne souhaite pas que son midazolam soit utilisé lors d'exécutions. Au moment de la commande à un grossiste, l'usage prévu n'avait pas été mentionné, et le colis avait été livré non pas directement à la prison d'Ely, mais près de 400 km plus au sud, à l'adresse quelconque d'un bureau de Las Vegas.

Le laboratoire Sandoz, qui produit le cisatracurium bésilate, avait lui aussi fait part de son mécontentement et tenté d'annuler l'exécution. Le produit utilisé comme relaxant musculaire lors d'anesthésies générales devait compléter le trio du cocktail de produits à injecter à Scott Dozier.

Les labos se fâchent

La décision de la juge locale a été saluée par les activistes anti-peine de mort. "Elle affirme que les laboratoires ont un droit de regard sur la manière dont leurs produits sont utilisés", s'est réjouie Maya Foa, la directrice de Reprieve, une organisation de défense des droits de l'homme basée à Londres.

Un sédatif, un paralysant et un produit destiné à provoquer la mort. Le cocktail est souvent le même pour les mises à mort par injection, qui représentent environ trois quarts des exécutions américaines depuis les années 1980. Sauf que depuis quelques années, les laboratoires sont montés au créneau, refusent de vendre leurs produits, et interdisent à leurs distributeurs de le faire. Peu d'argent à gagner, mais beaucoup à perdre en image...
Le laboratoire italien Hospira avait même annoncé l'arrêt de sa production de thiopental (barbiturique) en réaction à des tentatives de l'État du Texas de s'en procurer. Il avait justifié une crainte de représailles des autorités italiennes en cas d'utilisation non consentie de leurs produits.

Peine perdue ?

Le principe de la peine de mort, mais aussi plusieurs cas d'exécutions particulièrement inhumaines, donnant lieu à des agonies spectaculaires, se sont chargés de convaincre la plupart des laboratoires. Les barbituriques sont ainsi presque impossibles à trouver, et c'est la raison pour laquelle le système pénitentiaire s'est rabattu sur le midazolam, qui semble moins efficace. "Aucun État ne l'utiliserait s'il avait accès aux barbituriques", explique au New York Times le directeur du service légal de la Criminal justice legal foundation, lobby pro-peine de mort. "Les opposants [à la peine de mort] ont créé une situation qui force les États à utiliser des substances qui ne sont pas optimales".

Une stratégie sans doute étudiée pour discréditer le système et mobiliser l'opinion publique. Pas enviable pour les détenus, qui subissent des mises à morts plus aléatoires, mais peut-être profitable à moyen terme pour forcer une sortie de la peine de mort. Ou alors pour ressortir pelotons d'exécution, chambres à gaz et guillotines... L'Utah autorise ainsi le recours au peloton d'exécution.

Source:

Jonathan Herchkovitch

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