Brute ou pas brute, épisode 6 : Jean-Claude Grange (docteurdu16)

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La maltraitance vue par les médecins

Brute ou pas brute, épisode 6 : Jean-Claude Grange (docteurdu16)

À la suite de la publication par Martin Winckler de Brutes en blanc, son livre dénonçant la maltraitance médicale, la rédaction a décidé de donner la parole aux accusés. Aujourd’hui, c’est le Dr Jean-Claude Grange (docteurdu16) qui répond à nos questions.

La publication de Brutes en blanc, le livre de Martin Winckler dénonçant la maltraitance médicale, a suscité une immense polémique. La rédaction estime qu'il est aussi caricatural de considérer tous les médecins comme des brutes que de nier l’existence de la maltraitance. Nous avons donc décidé de faire parler le terrain en demandant à des praticiens de réfléchir à la question à partir de leur propre expérience. Dans ce sixième épisode, c’est le Dr Jean-Claude Grange, généraliste à Mantes-la-Jolie et blogueur (docteurdu16), qui se livre à l’exercice.

 

What’s up Doc. Avez-vous en mémoire une situation dans laquelle vous avez pu vous conduire de manière inappropriée, de sorte que votre patient voie en vous une « brute » ?

Jean-Claude Grange. Il y a des situations banales, par exemple lorsque je refuse de prescrire un PSA ou une IRM, où je peux passer pour brutal. Mais j’ai surtout peur d’être brutal lorsque j’annonce une maladie grave à un patient. J’ai le souvenir récent d’avoir dû informer des enfants (majeurs) sur la maladie de leur père qui est mort six semaines plus tard. Ils ont trouvé que ma façon de faire avait été trop raide par rapport à leur état d’impréparation. On imagine ce qu’un malade lui-même peut ressentir. 

WUD. À titre personnel, comment faites-vous pour vous prémunir contre la maltraitance ?

JCG. Quand je parle à un patient, je m’imagine parlant à la femme que j’aime, à mon père, à ma mère, à mes fils... Comme si j’étais un autre médecin s’adressant à eux. J’essaie aussi d’imaginer leur regard d’un point de vue extérieur et moral. Lors d’un examen gynécologique, par exemple, il m’arrive d‘imaginer ce qu’en penserait ma propre femme si elle était dans la pièce. Dans les situations un peu tendues, je me demande souvent : si cette scène était filmée, est-ce que j’en aurais honte vis-à-vis de mes pairs ou de mon entourage ? 

WUD. Quelles peuvent être selon vous les raisons de la maltraitance ?

JCG. J’ai fait mes études dans les années 70. À l’hôpital, j’ai constaté que le comportement des médecins, indépendamment de l’humanité de certains, était souvent incorrect à l’égard des patients. J’ai vraiment souffert de l’arrogance, du paternalisme et du machisme institutionnel. L’enseignement que nous recevons est centré sur l’élucidation des cas et sur la recherche d’un traitement, plus que sur la compréhension des patients. L’exemple le plus abouti de cette caricature, c’est le Dr House. Pour lui la médecine est un puzzle : le malade n’est qu’un prétexte à l’exercice de son art.

WUD. Pensez-vous que Martin Winckler ait raison d'attirer l'attention du public sur cette maltraitance ?

JCG. Il a sans doute raison de parler de la brutalité, mais il a tort de se centrer sur le médecin. Tous les intervenants du système de soins – réceptionnistes, infirmières, aides-soignants, brancardiers, agents de service… –, peuvent être brutaux. Dans les hôpitaux ou les Ehpad, les gens se plaignent aussi du personnel non médecin. Dans ces conditions, la critique wincklerienne, qui assimile la maltraitance à un problème de lutte des classes, s’effondre.

WUD. Un autre point de désaccord ?

JCG. Si l’on suit Winckler, les patients ont toujours raison. Mais ce n’est pas aussi évident. Dans les enquêtes de satisfaction, le patient qui consulte pour une lombalgie évalue toujours mieux le médecin qui prescrit une IRM ou un scanner inutiles, que celui qui refuse en se fondant sur un référentiel ou sur son sens clinique. Toujours donner raison au patient est dangereux : cela nous conduit vers une santé purement consumériste, où le professionnalisme et l’éthique du médecin sont niés.

 

Cet épisode est le sixième de notre série « Brute ou pas brute ? ». Dans les précédents épisodes, vous pouvez retrouver les témoignages de Dominique Dupagne, Baptiste Beaulieu, Christian Lehmann, Henri Duboc ou encore Cécile Monteil.

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Propos recueillis par Yvan Pandelé

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