Agnès Buzyn : « Je crois à la transformation de l’exercice médical »

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Rencontre avec la nouvelle Ministre de la Santé

Agnès Buzyn : « Je crois à la transformation de l’exercice médical »

EXCLUSIF. Quelques semaines après avoir pris ses fonctions au ministère de la Santé, le Pr Agnès Buzyn reçoit What’s up Doc dans son nouveau bureau de l’avenue Duquesne. Au menu de cet entretien : les réactions à sa nomination, et bien sûr les dossiers chauds du moment. 

WUD. Votre nomination a été saluée de manière quasi-unanime par la profession médicale, mais certains représentants des libéraux craignent que votre parcours très « secteur public » ne se traduise par des mesures en leur défaveur. Que leur répondez-vous ?

AB. Lors des discussions que j’ai eues avec les médecins libéraux, ils ont pu voir que j’étais une praticienne avant d’être d’un secteur ou d’un autre. Il se trouve que j’ai fait ma carrière dans le public, notamment parce que ma spécialité (l’hématologie et la greffe de moelle, ndlr) n’existe que dans le public. Mais je crois qu’il faut arrêter d’opposer les pratiques, les professionnels, les secteurs entre eux. Je trouve qu’il y a dans tout cela un côté has been.

WUD. Autre crainte qui s’est exprimée : votre proximité avec le monde de la recherche pourrait vous conduire à mener des politiques trop favorables à l'industrie...

AB. J’aimerais que ceux qui disent cela aillent voir mes publications. S’ils y voient un lien avec l’industrie, ils sont très forts (rires) ! J’ai effectivement toujours fait de la recherche fondamentale. Celle-ci a toujours été financée par des appels d’offres publics ou des associations caritatives comme la Ligue contre le cancer. Que la recherche fondamentale aboutisse parfois à des dépôts de brevets, je le reconnais volontiers. Mais de là à favoriser l’industrie… Ce qui compte pour moi, c’est de rendre service au malade. Il y a des médicaments qui rendent service, et d’autres qui ne rendent pas service. Je saurai faire la part des choses.

WUD. Votre proposition d’élargir l’obligation vaccinale, confirmée hier par le premier ministre, a pu être qualifiée de cadeau aux labos…

AB. Mon objectif n’est pas de faire gagner de l’argent à l’industrie pharmaceutique. Il s’agit de faire en sorte que des maladies qui entraînent des morts d’enfants ne reviennent pas uniquement parce qu’on a arrêté de vacciner. Il y a des gens qui cherchent à mettre à mal le rationnel scientifique. On avait des climato-sceptiques, maintenant on a des vaccino-sceptiques. On ne peut pas faire une politique basée sur des croyances. Moi j’en reste aux faits scientifiques, c’est ma formation.

A retrouver aussi sur What's up Doc, La Consult' (vidéo) d'Agnès Buzyn. Cliquez ici.


WUD. Venons-en aux dossiers chauds qui vous attendent, à commencer par le
burnout. Celui-ci préoccupe tout particulièrement les médecins. Que pensez-vous faire sur ce sujet ?

AB. A la HAS, la ministre précédente m’avait justement saisie à ce propos. J’ai une inquiétude particulière pour les jeunes médecins et les étudiants en médecine. Notre métier évolue très vite, cela rajoute du stress, parce qu’on a toujours l’impression de courir après le progrès et la connaissance. Je n’ai pas de réponse à apporter tout de suite, parce que je viens d’arriver, mais c’est un sujet sur lequel je souhaite me pencher.

WUD. L’une des réponses constituerait à allouer plus de moyens aux médecins…

AB. Plus de temps médical, c’est certain.

WUD. Alors comment faire ?

AB. Il faut être pragmatique : simplifier, favoriser les coordinations et la mise en commun de personnels administratifs, développer l’exercice en maison de santé pluridisciplinaire… Autant de réponses que l’on peut apporter dans les prochaines années aux médecins pour les aider à se recentrer sur leur activité.

WUD. Ce sont aussi des réponses que l’on entend depuis un moment sur le sujet. La télémédecine, la e-santé feront-elles partie des solutions que vous favoriserez pour apporter du temps médical aux médecins ?

AB. Cela fait partie de la feuille de route. On ne peut pas se permettre d’être en retard sur l’innovation majeure qu’est le numérique. Elle s’impose à nous, je ne veux pas courir derrière. Comme la radiologie ou la biologie, qui sont des outils qu’on a déjà ajoutés à l’exercice médical, la télémédecine ou la e-santé vont lui devenir indispensables.

WUD. Que répondez-vous à des gens comme Laurent Alexandre, qui pensent que les algorithmes des Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon) vont remplacer les médecins ?

AB. Je ne crois pas à la fin de l’exercice médical, je crois à sa transformation. La radiographie ou la génomique n’ont pas supprimé la nécessité de palper le malade. Ces outils accroissent notre connaissance, mais ils ne ferment pas le champ des possibles. Au contraire, à chaque fois qu’on découvre un nouvel outil, on ouvre le champ de la réflexion.

WUD. Revenons sur terre et projetons-nous à la fin du présent quinquennat. Dans cinq ans, les internes peuvent-ils espérer que la réglementation sur leur temps de travail sera respectée ?

AB. Nous allons tout faire pour. Nous allons encore rappeler les règles aux établissements où l’on constate des abus. Avec l’augmentation du numerus clausus, il y aura davantage de médecins en formation, ce qui devrait aider.

WUD. Dernier dossier chaud : la réforme du troisième cycle, qui suscite des remous dans nombre de spécialités. Comment voyez-vous la rentrée de septembre ?

Agnès Buzyn. Cette réforme a été travaillée pendant plusieurs années. Il serait donc malvenu de tout remettre à plat en arrivant, alors que tout cela est issu d’un long processus de concertation. Mais si on voit qu’il y a des trous dans la raquette, ou des difficultés particulières, on en tiendra compte. Un comité de suivi de la réforme a été instauré, et je veillerai à ce qu’on puisse au besoin faire évoluer les choses avec l’aide des parties prenantes qui y siègent.

WUD. Les durées d’internat font-elles partie des points sur lesquels de telles évolutions sont possibles ?

AB. Si on me donne des arguments qui me convainquent qu’il faut modifier les choses, je le ferai.

Source:

Adrien Renaud

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