Médecins : soyez incorruptibles !

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La troupe du RIRE interpelle sur le risque d'influence par l'industrie pharmaceutique

Médecins : soyez incorruptibles !

Le collectif étudiant du RIRE (Réseau des Initiatives et Réponses Étudiantes) a récemment édité un livret intitulé "Pourquoi garder son indépendance face aux laboratoires pharmaceutiques ?". Matthieu, étudiant en médecine et membre de la troupe du RIRE (et du Formindep, ainsi qu'il nous l'a précisé dans sa déclaration d'intérêt préalable), réagit aux différents sujets abordés dans l'enquête de WUD sur les relations entre médecins et industrie. Mais tient à préciser : "le but n'est pas de diaboliser l'industrie pharmaceutique". Entretien.

 

What's up Doc. L'industrie pharmaceutique finance la formation continue.

Matthieu. Oui, à 98 %, ce qui est considérable.

WUD. Cela veut-il dire que la formation médicale est sous influence ?

M. Les industries sont des entreprises à but lucratif. Elles se présentent comme voulant promouvoir la santé mais ce n'est pas leur nature profonde, qui est de faire du bénéfice. Les entreprises pharmaceutiques doivent produire des médicaments, point. Qu'est-ce qu'elles viennent faire dans la formation ? C'est l'État qui devrait faire ça, et les médecins devraient se former entre eux, sans rapport avec les labos.

WUD. Qu'en est-il du financement de la recherche par l'industrie pharmaceutique ?

M. Dans la recherche il y a trois étapes. La recherche fondamentale : trouver les molécules ; la recherche clinique : tester les molécules ; et puis la partie expertise. L'image des industries est encore celle du premier acteur dans la recherche des nouveaux médicaments. Or, c'est faux. Des données américaines sur les demandes de brevet pour des molécules thérapeutiques montrent qu'il y a 40 % de recherche publique, 40 % de recherche privée, et seulement 15-20 % de financement par les labos privés. Les labos surfent encore sur cette image positive de "découvreur de molécules", qui était vraie il y a 40 ou 50 ans. Mais ce n'est plus le cas aujourd'hui. Certains ont un budget marketing supérieur à leur budget recherche et développement : ça pose question.

WUD. Et ce qui concerne la recherche clinique ?

M. Là le problème de l'argent se pose clairement, parce que l'État a rarement les moyens. Le problème n'est pas que des médecins fassent de la recherche clinique, parce qu'on en a besoin. Mais se pose la question du conflit d'intérêt.

Il y a deux points. Le côté éthique scientifique : pour mener des essais cliniques, on est payé par un laboratoire qui a besoin de produire quelque chose, et qui va peut-être passer sous silence des résultats négatifs. Puis il y a le côté expertise par les autorités sanitaires, destiné à évaluer un traitement et décider d'une éventuelle autorisation de mise sur le marché. Et tout simplement, la personne qui a été payée par l'entreprise pour faire l'étude et celle qui fait l'expertise doivent être différentes.

On entend souvent que les personnes compétentes sont les mêmes que celles qui sont payées par les labos pour faire de la recherche clinique. C'est un piège auquel la HAS s'est fait prendre. Elle avait fait des recommandations sur Alzheimer, et ils se sont fait démolir par Prescrire et le Formindep. C'est passé au Conseil d'État, et ils ont sorti de nouvelles recommandations, non entachées de conflits d'intérêt.

Aujourd'hui certains dressent des annuaires d'experts qui ne sont pas en conflit d'intérêt, mais il y en a très peu. Pour pallier ce problème, une solution possible consiste à prendre des chercheurs en fin de carrière, qui n'auront aucun intérêt à bien se faire voir d'une entreprise.

WUD. Est-ce que le décret dit du "Sunshine Act", qui oblige les industriels à déclarer leurs liens d'intérêt avec les médecins, a instauré un cadre de confiance entre médecins et industrie ?

M. Un cadre de confiance je ne sais pas, mais une prise de conscience, oui, car maintenant tout est fiché. Le portail transparence.gouv.fr donne pas mal d'informations. Le prof en face de toi a beau ne pas faire de déclaration publique d'intérêt, tu peux facilement regarder et voir qu'il a récupéré 500 euros en repas, par exemple.

WUD. Est-ce que les médecins font plus attention maintenant ?

M. Je dirais que oui. Ca marque quand tu es interne et que tu vois que tu es fiché avec 60 euros de conflit d'intérêt, parce que tu étais là au moment du staff et que tu as signé la feuille par exemple. C'est quelque chose qui était très commun et qui apparaît maintenant au grand jour, alors on en prend conscience.

WUD. Quel est ton message aux jeunes médecins ?

M. Soyez critiques. Je trouve que c'est dommage d'abandonner son cerveau en entrant en médecine. Il faut garder à l'esprit qu'une entreprise pharmaceutique a vocation à faire des bénéfices. Il y a un risque sanitaire aussi. Il faut avoir l'esprit critique et aussi rester modeste. Les étudiants pensent souvent qu'ils ne sont pas influencés, mais les visiteurs médicaux savent parfaitement que les étudiants en médecine ont un minimum de formation universitaire et ils s'adaptent.

Source:

Cécile Lienhard

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