Libérées, les mœurs médicales ?

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Le sexe n'est pas la chasse gardée des étudiants en médecine, loin s'en faut... Cependant, les mœurs médicales semblent absolument indissociables du sexe. 

Libérées, les mœurs médicales ?

Le Pr Isabelle Richard, ancienne doyenne de la faculté de médecine d'Angers, puis conseillère en charge de la Santé et de la Formation au sein du cabinet ministériel de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation, avant de prendre le poste de première vice-présidente de l'université d'Angers, nous explique son point de vue selon lequel « les étudiants en médecine diffèrent dans la revendication de ces propos et de cette iconographie sur le sexe, qui font partie intégrante de leur spécificité, de leur identité, contrairement à d'autres disciplines qui ne le justifient pas comme quelque chose de constitutionnel ». La nature même de notre métier de médecin entraîne une démystification du corps car celui-ci, étudié, autopsié à des fins de propédeutique médicale, est alors loin du seul objet de plaisir.

… OU PLUTÔT UN PEU SEXISTES ?

Et si cette prétendue libération des moeurs n'était finalement qu'une libération des pulsions de « l'homme hiérarchiquement haut placé », comme le dénonce Lamia Kerdjana, présidente de Jeunes Médecins Île-de-France ? Selon elle en effet, « les études et le monde médical en règle générale restent des milieux sexistes où les discriminations homme/femme présentes depuis des années perdurent encore aujourd'hui ». La faute, peut-être, à « un cocktail entre milieu de pouvoir (NDLR : initialement tenu par une grande majorité d'hommes) et confrontation à la mort, avec des stratégies bas de gamme d'évacuation et de gestion du stress, par absence d'un encadrement adapté des étudiants et des professionnels en face de situations difficiles », suggère Isabelle Richard.

Pourtant, en France, on est loin de la fin du XIXe siècle où seulement quelques rares femmes étaient médecins : aujourd’hui 59 % des nouveaux praticiens inscrits au Conseil national de l’Ordre des médecins sont des femmes1. 
Avec une telle explosion de la féminisation de la profession, on s'attendrait à des moeurs carabines, où désormais la misogynie et le sexisme qui faisaient le coeur et le corps des chansons paillardes des chambres de garde napoléoniennes ne peuvent plus trouver leur place.

Les faits n’accréditent pourtant pas cette théorie. Pour exemple, le 8 mars 2019, lors de la Journée de la femme, Action Praticiens Hôpital (APH, organisme regroupant 2 intersyndicales de praticiens hospitaliers, Avenir hospitalier et la Confédération des praticiens des hôpitaux), et le syndicat Jeunes Médecins ont lancé une grande enquête nationale dans laquelle 15 % des femmes disaient avoir été victimes de harcèlement sexuel et 43 % avoir ressenti une discrimination liée à leur sexe.

… ET HÉTÉRONORMÉES ? 

En outre, si peu de murs d'internat représentent des positions sexuelles incluant deux individus du même sexe, de même l'enseignement des questions strictement médicales sur les populations homosexuelles et transexuelles s’avère « quasiment égal à zéro » selon Isabelle Richard. Cela permettrait pourtant d’être un soignant le plus efficient possible face à un patient de la communauté LGBT, avec certaines caractéristiques de prise en charge qui peuvent être particulières, sans entrer dans la discrimination. Pierre2, carabin en troisième année de médecine à Paris, dénonce le fait qu’« un individu n’est pas une statistique. Toute la dimension sociologique manque dans notre apprentissage médical. On est quand même un peu en retard alors qu’on a une profession qui est pourtant au coeur de la société ». 

#METOO #BALANCETONMEDECIN : LA FIN DU SEXISME ET DE L’HOMOPHOBIE À L'HÔPITAL ? 

Le milieu médical a été impacté par les mouvements #MeToo et #BalanceTonPorc, appelant à casser toutes les sous-cultures qui continuent à mettre en avant la discrimination homme/femme. Avec le mouvement #BalanceTonMedecin, la société devient aussi, dorénavant, critique du monde médical. Ces initiatives ont donné la parole à ceux qui n’osaient pas la prendre jusqu’alors, permettant de révéler des traumatismes de certaines femmes face à des gestes ou paroles sexistes chez leurs gynécologues, généralistes et autres soignants, mais également l’interruption de soins de patients homosexuels devant un comportement homophobe de leur praticien. 
« Le mouvement social a rattrapé les études de médecine », perçoit Isabelle Richard. « Pour la première fois, les internes sont alors sortis de leur folklore pour reconnaître qu'il y avait un problème. Et c'est d'autant plus essentiel que les choses ne changeront que si les internes se saisissent de ces questions, pour ne pas rester victimes tout autant que complices. » Et Pierre, corporatiste engagé, s’en réjouit : « L’ADN de la culture carabine, a fortiori dans le milieu associatif, est en train de se colorer pour le mieux. On est appelé à être médecin, et être médecin c’est lutter contre ces représentations qui peuvent être problématiques si on cultive certains rapports de force susceptibles de transparaître dans la prise en charge du patient ». 

Références 
1 Drees, Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques 2018 
2 Le prénom a été changé. 

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