L’erreur médicale, un terrain d’apprentissage

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En médecine, l’erreur peut faire peur. Pourtant, elle fait partie du quotidien des médecins. Une réalité qui touche notamment les rangs des chirurgiens. Les Pr Éric Vibert, Raphaël Vialle et David Fuks nous livrent tour à tour l’une des leurs, et surtout ce qu’elle leur a appris.

L’erreur médicale, un terrain d’apprentissage

« Le chirurgien qui vous dit qu’il n’a jamais eu de complications vous ment ». De cela, le Pr Eric Vibert, chirurgien digestif à l’hôpital Paul Brousse, en est convaincu. Une certitude, partagée par nombre de ses confrères, née des erreurs médicales qui ont jalonné son parcours d’expertise. « Aucune discipline n’est exempte d’erreurs », ajoute le Pr Raphaël Vialle, chef du Service de Chirurgie Orthopédique et Réparatrice de l'Enfant de l’hôpital Armand Trousseau. Et le Pr David Fuks, qui dirige le Service de Chirurgie Digestive, Hépatobiliaire et Endocrinienne à l’hôpital Cochin, de commenter : « C’est un levier de formation qui permet d’apprendre les choses qu’on ne devrait pas faire ».

En 2018, l’assureur MACSF tentait de délimiter le phénomène. Parmi leurs 487 000 assurés, 4 723 avaient déclaré un « sinistre » sur l’année. Sur le podium des spécialités les plus souvent concernées par ce type de situation se trouvaient alors les neurochirurgiens, les chirurgiens orthopédiques et les chirurgiens plastiques avec des taux de déclaration variant entre 78 et 34 %. « Je pense que c’est propre à l’exercice de la médecine de faire des erreurs », commente Raphaël Vialle, qui souligne l’imprévisibilité du corps humain. « C’est notre matière de travail. Et c’est ça qui nous met devant le risque d’erreur », ajoute-t-il. Un paramètre qui se lie également à un environnement en perpétuel mouvement. « Vous êtes en retard, vous avez une panne informatique, vous avez reçu une mauvaise radio… Du côté des professionnels aussi, la variable humaine est réelle ».

Se fier à l’expertise de ses collègues

Comme ce fût le cas pour celui qui a depuis décroché le titre de professeur, cet apprentissage essentiel se fait parfois dès la phase d’internat. « En formation de chirurgie digestive, j’ai fait une erreur d’appréciation sur le cas d’un patient hospitalisé », se remémore-t-il. Alors de garde aux Urgences, son téléphone sonne à plusieurs reprises. « Les infirmières m’ont appelé pour me dire qu’un vieux monsieur présent dans le service depuis plusieurs jours allait moins bien. Il paraissait fatigué. » Un échange qui ne le convaincra pas de quitter son poste. Le patient, lui, finira en réanimation au beau milieu de la nuit. « Au bout de quelques jours de réa, le chef de service est parvenu à récupérer la situation », se souvient celui qui a appris au détour de cette expérience à « faire confiance aux infirmières expérimentées ». « Elles sont souvent au contact du patient. Elles ont une vue précise sur les dégradations quand elles se produisent ».

Favoriser un climat de bienveillance

Depuis bien sûr, le Professeur a fait d’autres erreurs. « Il m’est arrivé de faire des prescriptions pas adaptées qui auraient pu générer une moins bonne efficacité », livre Raphaël Vialle. Des décisions qui ont par la suite étaient rattrapées par la mobilisation de son équipe. « Comme mes collègues savent que je ne suis pas du genre à me rouler par terre, ils me l’ont dit. » Une liberté de parole autour de cette problématique qu’il souhaite voir irriguer la culture des services. « Il faut accepter la critique descendante ou ascendante, débute-t-il. Les erreurs existeront toujours. Dans les équipes où il y a de la bienveillance par contre, elles seront mieux rattrapées, plus vite et plus efficacement ». « Il n’y a pas de chirurgien sans grande équipe, s’accorde à dire Éric Vibert. Dès que j'ai un souci, j'en parle à mon staff. »

La transparence, une nécessité 

En février dernier, ce professeur émérite de l’hôpital Paul-Brousse sortait un essai au nom évocateur, baptisé « Droit à l’erreur, devoir de transparence ». Un exercice d’écriture cathartique réalisé après avoir eu un mauvais geste lors d’une intervention prophylactique. Après huit heures d’une opération qu’il pensait parfaite, la patiente développe une fistule biliaire. « En la ré-ouvrant, j’ai trouvé une plaie », confie celui qui était pourtant rompu à l’exercice. Une expérience traumatisante dont il a tiré une certitude. « L’erreur médicale est un droit qui doit s'accompagner d'un devoir de transparence », clame le chirurgien, qui distingue l’erreur « involontaire » et la faute dissimulée. Une ambition, formalisée par les revues de mortalité et de morbidité, qui doit s’accompagner d’une culture de l’erreur positive selon Raphaël Vialle. « Quand mes internes font une erreur - même petite, on en parle. Car ils savent que je ne vais pas m’énerver. On ne peut pas se comporter avec nos jeunes comme certains de nos maîtres se sont comportés avec nous », ajoute celui qui pointe du doigt « les chefs de service terroristes. »

Enseigner ses erreurs

« Il n’y a aucune raison de cacher une erreur. On en fait tous ! », atteste David Fuks, qui rappelle qu’elles sont souvent « multifactorielles. » L’une de ses dernières marquantes s’est produite en 2014 lors d’une hépatectomie. « À la fin de l’opération, j’ai voulu m’assurer qu’il n’y avait pas de fuite de bile, se remémore-t-il. J’ai poussé un peu d'air dans les voies biliaires pour voir s'il n'y avait pas de fuite, peut-être un peu trop fort. » Une manoeuvre qui s’est soldée par un arrêt cardiaque de la patiente. « Le fait d’avoir poussé de l’air dans la voie biliaire venait d’être responsable d’une embolie gazeuse. La patiente s’est remise après quelques jours dans un caisson hyperbare, mais cela aurait pu causer son décès », livre-t-il. Une erreur qu’il n’hésite pas depuis à livrer lorsqu’il enseigne en tant qu’expert de la chirurgie du foie sous cœlioscopie. « C’est important de raconter ses erreurs », ajoute celui qui rêve d’un recueil « assez exhaustif » capable de recenser tous ces apprentissages parfois faits dans la douleur.

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