Le tiers payant généralisé va révolutionner le système de santé

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Ca y est ! La loi Touraine est passée, et avec elle, le célèbre tiers payant généralisé. Si les effets de cette mesure étaient proportionnels à l’ampleur de la polémique suscitée, une conclusion s’imposerait : rien ne serait plus comme avant. Sauf que tout n’est pas si net. Fuyant le manichéisme de la plupart des participants aux discussions enflammées des derniers mois, What’s Up Doc a sollicité deux voix qui se sont montrées plutôt mesurées : le Pr Alain Grand, et le Pr Claude Le Pen.

Le tiers payant généralisé va révolutionner le système de santé

Le Pr ALain Grand est directeur du département de santé publique à Toulouse III,  et le Pr Claude Le Pen, économiste de la santé à Paris-Dauphine. Leur verdict s’énonce dans les mêmes termes : sur le tiers payant généralisé, « tout le monde a surjoué ».


Un progrès pour l'accès au soins ?

L'argument le plus souvent entendu en faveur du tiers payant est celui  de la justice sociale : il permettrait d’éviter le renoncement aux soins. Or, d’après Alain Grand, ce n’est pas le cas : « les populations les plus précaires sont couvertes par des dispositifs comme la Couverture Maladie Universelle (CMU), et bénéficient donc déjà du tiers payant ». Claude Le Pen estime pour sa part que d’un point de vue économique, le principal avantage du tiers payant n’est pas son aspect équitable, mais son coût : « c’est une réforme gratuite pour l’État ».

Un pas vers l'étatisation de la médecine ?

Avec le tiers payant, la relation financière directe avec le patient disparaît. Et les médecins opposés à sa généralisation craignent de se trouver aux ordres de leurs financeurs, à savoir la Sécurité sociale, les mutuelles et l’État. Mais à y regarder de plus près, le tiers payant est plutôt une conséquence qu’une cause de ce phénomène.

« L’étatisation est en cours au moins depuis les années 1990 et la loi Teulade [qui a pour la première fois tenté de mettre en œuvre un véritable dispositif de maîtrise des dépenses de santé, ndlr] », affirme Claude Le Pen. « L'essentiel de la rémunération des médecins libéraux vient déjà de l’Assurance Maladie », constate pour sa part Alain Grand. « La généralisation du tiers payant va-t-elle générer une prise de contrôle supplémentaire de sa part ? Je pense qu’elle n’en a ni la volonté ni les moyens ».

Vers une simplicfication administrative ?

L’absence de paiement direct de la part des patients entraînera une simplification administrative pour les médecins, expliquent les promoteurs du tiers payant : plus de chèques, plus de cartes bleues, plus d’espèces… Le pied ! Sauf que dans la réalité, les choses ne sont pas aussi simples. Les retards de paiement que subissent déjà les médecins pour le tiers payant qu’ils effectuent actuellement (dans le cadre de la CMU, par exemple) sont là pour en témoigner. « La loi a précédé la préparation du dispositif de mise en œuvre du tiers payant », constate Alain Grand. « C’est coupable de la part des pouvoirs publics : les choses ne sont pas prêtes ».  Et Claude Le Pen de prophétiser : « Vraisemblablement, ça ne marchera du premier coup ».

Les clés du camion données aux mutuelles ?

Qui paie décide, et avec le tiers payant généralisé, les mutuelles verront leur rôle considérablement augmenter : c'est ce que redoutent les adversaires de la réforme. « Les médecins craignent un système de type américain, où les assurances contrôlent les médecins, leurs prescriptions et leurs pratiques », résume Alain Grand. La place toujours plus importante prise par les mutuelles est un fait : « Il y a une montée en puissance indiscutable des complémentaires, dans le financement comme dans la gouvernance », remarque Claude Le Pen. Mais celui-ci nuance aussitôt : « d’un autre côté, la loi les encadre de plus en plus strictement ». L’économiste cite notamment la fameuse proposition de loi Leroux, adoptée en 2013, qui exclut encore et toujours les médecins des fameux réseaux de soins. Et si ceux-ci doivent se développer, ce ne sera pas dans le cadre de la loi Touraine.

La porte grand ouverte aux dérapages budgétaires ?

L’ un des arguments les plus souvent entendus contre le tiers payant est son supposé effet inflationniste : les patients, n’ayant plus rien à débourser quand ils vont chez le médecin, seraient tentés de s’y rendre plus souvent, ce qui occasionnerait une surcharge de travail pour les praticiens et un sérieux casse-tête pour les comptes publics. « Je n’y crois pas du tout », déclare sans ambages Claude Le Pen.  « Il y a une cinquantaine de pays où le tiers payant généralisé est appliqué : ils ont plutôt tendance à dépenser moins que nous ».

Alain Grand n’est pas tout à fait d’accord : « Cette réforme envoie un mauvais signal à un moment où la société française a besoin d'être responsabilisée par rapport aux dépenses collectives ». Mais d’après lui le volume de soins dispensés ne va pas augmenter pour autant, et ce pour une raison très simple : « L'offre est rationnée ». En clair, il n’y a pas assez de médecins pour répondre à un éventuel surcroît de demande : « je ne pense pas que les médecins puissent en faire plus », indique Alain Grand.

Conclusion

Loin du débat très « Black and white » auquel les discussions sur le tiers payant généralisé ont donné lieu, les arguments des spécialistes sont plutôt « fifty shades of gray ». Quoi qu'il en soit, reste à savoir maintenant si son application prévue en 2016-17 aura réellement lieu. La censure en janvier d'une partie du dispositif par le conseil constitutionnel laisse une certitude : le parcours du combattant du tiers payant généralisé n'est pas terminé.

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