J'ai exercé sous préjugés

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Ils sont médecins, et ils sont humains. Il leur est arrivé de constater que leur jugement (ou celui d’un confrère) était altéré par des préjugés. Ils ont osé se confier à What’s up Doc.

J'ai exercé sous préjugés

ELSA*, GÉNÉRALISTE LIBÉRALE. Je reçois une patiente maghrébine qui présente une maladie de Crohn rassurante. Elle a été arrêtée par mon confrère, mais je veux lui faire reprendre le travail, parasitée par le fameux « syndrome méditerranéen » qui veut que les patientes méridionales se plaignent davantage que les autres. Mon ton devient désagréable, elle se sent coincée… et me confie qu’elle est harcelée au travail. Elle était en réalité en syndrome dépressif avec psychosomatisation ! Résultat : j’ai prolongé son congé et l’ai mise sous anxiolytiques. Son état s’améliore depuis et elle verra bientôt le psychiatre !

CÉDRIC*, GASTROENTÉROLOGUE. Un urgentiste me demande un avis pour un toxicomane avec un ictère cholestatique. « Je reconnais que j'ai abusé des médicaments ces derniers jours », me confie le patient. Nous imaginons que le cas sera facile, à tel point que l’urgentiste, avant de partir, me dit : « Bon, je ne fais pas d'écho, hein ? ». J’hésite… et finalement, je lui demande d’en faire une, « à tout hasard ». Le patient avait en fait un volumineux calcul enclavé dans la vésicule biliaire qu'il a fallu extraire en urgence… 

ASTRID*, PSYCHIATRE. Ce qui me pose le plus de difficultés, ce sont les patients qui se mettent à débiter des propos racistes en consult’. C’est plus fort que moi, je me sens obligée de les interrompre. J’ai pourtant conscience qu’en arrière-plan de tels propos se trouvent parfois de réelles souffrances et des difficultés qui du coup m’échappent. Ma réaction bloque certainement quelque chose dans la relation de soin, mais je ne sais pas quelle attitude adopter.

ALBERTO*, GÉNÉRALISTE HOSPITALIER. C’est l’hiver, je suis aux urgences pédiatriques, et c’est ma énième consultation pour fièvre chez un enfant d’un an et demi. Ses parents, d’origine maghrébine, décrivent un épisode convulsif survenu au moment où ils avaient réveillé leur fils pour prendre sa température. Je me dis : « Ces gens m’ont l’air surprotecteurs, les Maghrébins sont toujours flippés pour leurs gamins ». Je considère donc que la situation n’a pas de caractère d’urgence, et vais m’occuper d’autres patients. Mais deux autres crises surviennent par la suite. L’enfant n’avait en fait pas de fièvre, et on a conclu à un état de mal épileptique.

BORIS*, GASTROENTÉROLOGUE. En premier semestre d’internat, alors que je n’ai encore jamais pratiqué d’endoscopie, le chef décide de me faire faire une gastroscopie sans anesthésie générale. Il se trouve que j’en ai moi-même déjà subi une, que je sais ce que c’est, et que je n’ai pas envie d’infliger ça à un malade. Je le lui dis, ajoutant qu’il s’agit à mon sens d’un examen trop difficile pour moi. Le chef me répond : « Tu t’en fous, c’est un SDFil aura à bouffer et un endroit pour dormir ce soir, il ne se plaindra pas ». La fibro a été une torture, ça a duré une éternité. Le pauvre gars a tenu, et finalement, quand tout a été terminé, on l’a remercié et on lui a dit au revoir. Il est reparti dans la rue et on n’a pas pu s’occuper de lui.

SYLVIE*, GÉNÉRALISTE EN ÉTABLISSEMENT PSYCHIATRIQUE. Ce patient dément a un cancer du larynx. On envisage une ablation de l’organe, ce qui implique une perte de la parole et une longue rééducation. Sur le coup, j’ai l’impression qu’il serait inhumain de faire subir cela à un patient qui présente des troubles de mémoire massifs. Je l’adresse tout de même à un ORL, et celui-ci le traite comme quelqu’un en pleine capacité intellectuelle. Le patient accepte l’opération et la rééducation sans difficulté. Je me suis rendu compte que je l’avais stigmatisé négativement : ne voyant que sa fragilité et n’écoutant que ma peur de lui faire mal, je voulais le priver d’un soin important.

*Les prénoms ont été changés

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