Et la déontologie dans tout ça ?

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Liberté sexuelle et déontologie médicale ne font pas forcément bon ménage. Surtout quand il s'agit de relations entre médecins et patients. Les émules d'hyppocrate ne peuvent en effet pas coucher avec n'importe qui... Et encore moins n'importe comment. 

Et la déontologie dans tout ça ?

Le Code de déontologie régit le secret médical, mais doit-il s’immiscer jusque dans le secret des alcôves ? La question est moins saugrenue qu’il n’y paraît, et le Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom) se penche de plus en plus sur la question. À tel point que dans certaines situations, mieux vaut bien réfléchir avant de tomber la blouse, au risque de devoir justifier de sa conduite devant une chambre disciplinaire. 

Car il n’y a pas que les relations non consenties, obtenues, selon la formule consacrée par les textes, par « surprise, contrainte, ou menace », qui sont interdites aux médecins. « Il faut aussi que ceux-ci veillent à ne pas utiliser l’ascendant qu’ils peuvent avoir pour obtenir des relations sexuelles, même si celles-ci sont consenties ou donnent l’impression de l’être », avertit le Dr Gilles Munier, vice-président du Cnom. En d’autres termes, gare à l’abus de faiblesse. 

L’Ordre a d’ailleurs en 2015 ajouté dans les commentaires de l’article 2 du Code de déontologie 10 conseils pour éviter aux médecins de se retrouver dans des situations litigieuses. « Et comme on nous a fait remarquer que ce n’était pas suffisamment clair, nous avons l’année dernière de nouveau modifié le commentaire pour exprimer directement la notion de sanction pour les médecins qui abuseraient de leur ascendant », précise Gilles Munier. 

SÉVÈRE… 

Et il ne faut pas croire que les dispositions du Code de déontologie réprimant le comportement sexuel des médecins ne sont là que pour faire joli. D’après les chiffres fournis par l’Ordre, 37 affaires à connotation sexuelle ont été jugées en première instance par les chambres disciplinaires régionales en 2018. 6 ont donné lieu à des radiations, 7 à des interdictions fermes d’exercice pouvant aller jusqu’à trois ans (éventuellement assorties d’un sursis partiel), 8 à des interdictions d’exercer avec sursis, à des avertissements ou à des blâmes, et 17 à des relaxes. La même année, la chambre disciplinaire nationale s’était prononcée en appel sur 15 affaires de ce type. Elle avait ordonné 2 radiations, 2 interdictions temporaires d’exercice, une interdiction avec sursis, un blâme et 9 relaxes. 

« En proportion, il y a bien davantage de sanctions lourdes dans ces affaires que dans les autres types d’affaires », souligne-t-on du côté de l’Ordre, qui a fait les calculs : 35 % de ces affaires jugées en premières instance par les chambres régionales en 2018 ont abouti à des interdictions fermes d’exercer ou des radiations, contre 13 % sur l’ensemble des décisions. Des comparaisons qui ne tiennent cependant pas compte de la gravité des affaires en question. 

… OU LAXISTE ? 

Les chiffres ordinaux sont d’ailleurs loin de rassurer ceux qui voudraient un contrôle plus strict du comportement sexuel des médecins avec leurs patients, à commencer par le Dr Dominique Dupagne. Ce généraliste parisien, fondateur, entre autres, du site Atoute.org, avait lancé en 2018 une pétition demandant « l’ajout au Code de déontologie médicale d’un article interdisant explicitement aux médecins toute relation sexuelle avec les patient(e)s dont ils assurent le suivi ». C’est à la suite de cette pétition que le Cnom avait modifié ses commentaires, et Dominique Dupagne s’était alors déclaré satisfait, espérant que la jurisprudence suivrait. Aujourd’hui, il estime que le compte n’y est pas. 

Il souligne notamment le décalage entre l’affichage ordinal et la réalité. « On a un discours très clair, très engagé de la part du Conseil national, et on a des cours régionales qui n’en font qu’à leur tête », déplore-t-il. Il cite notamment le cas d’une affaire récemment jugée par la chambre régionale de Marseille, dans laquelle un médecin reconnu coupable d’inconduite à caractère sexuel n’a écopé que d’un avertissement. Dominique Dupagne en appelle donc, si la situation ne change pas, à dépayser ce type d’affaire, ou même à en dessaisir les juridictions ordinales. 

Reste à savoir s’il faut complètement interdire les relations sexuelles entre médecins et patients, comme le proposait la pétition de 2018. « En Europe, certains codes de déontologie prévoient ce genre de disposition, remarque Gilles Munier. Mais nous considérons que ce serait contraire à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (qui prévoit que toute personne a droit au respect de sa vie privée, NDLR) ». Alors, changera, changera pas ? Au bout du compte, c’est l’opinion publique qui tranchera. 

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