Braillons, braillons, c’est le plaisir des dieux

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La chanson paillarde bande encore

Braillons, braillons, c’est le plaisir des dieux

À la rédaction, nous avons mis la main sur un Bréviaire du carabin. Un petit volume noir et or, joliment orné de phallus volants et autres culs tendus. Passé les premiers usages de rigueur, nous avons souhaité en savoir plus sur les chansons de carabins. Et qui de mieux placé pour cela que l’asso Le Plaisir des dieux et sa chorale (voir encadré) ? Son président, Côme Bureau, s’est prêté au jeu.


What’s up Doc. D’où viennent les chansons paillardes que vous aimez entonner, le soir au fond des hôpitaux ?

Côme Bureau. Ce sont des chansons corporatistes, issues des métiers avec gardes. On en trouve dans les hôpitaux, les casernes – il y a beaucoup de chansons de corps de garde –, chez les pompiers, aux Beaux-arts... Des endroits où les gens restaient, veillaient, travaillaient longtemps. Ça s’est transmis par tradition orale.Le fonds de chansons non médicales est très vaste, et avait été un peu remis au goût du jour par Pierre Perret. Nous, on a une faiblesse pour les chansons médicales.

WUD. Par exemple ?

CB. Il y a Dans la chambre de garde, qui est très connue. Mais on en écrit en permanence. Ça peut être sur un apéro ou un amélioré, à l’occasion des tonus, des dîners d'économes, et bien sûr du Bal de l'internat. C'est une façon de faire vivre le patrimoine. Beaucoup sont chantées une seule fois, ce n’est pas grave du tout. Et quelques-unes vont traverser les époques.

WUD. C’est donc une tradition vivante ?

CB. Pendant l'externat c'est très à la mode. Les externes se réunissent certains soirs, à vingt ou quarante, pour chanter des chansons paillardes. Les internes font de même avec la chorale du Plaisir des dieux, qui est transgénérationnelle : on a aussi des PH, des chefs de cliniques, quelques externes, des non-médecins, et parfois même des PU-PH. C’est petit mais vivant, il y a une forme d’attachement à cet aspect du folklore. Quand on demande aux gens s'ils ont des chansons préférées, ils en connaissent souvent deux ou trois et savent les fredonner.

WUD. Quiz ! Si je vous dis « Du Dieu Vulcain, quand l’épouse mignonne »… ?

CB. Facile ! « Va boxonner, loin de son vieux sournois ; le noir époux etc. etc. » C’est Le Plaisir des dieux, la chanson qui donne son nom à l’asso, et sans doute la plus chantée : elle est jolie, imagée, facile à apprendre, avec un rythme et une répétition sympa.

Un ange passe. (Le Bréviaire du carabin, Elsevier-Masson.)

 

WUD. Tout un pan du folklore carabin fait régulièrement polémique, comme les soirées « plombiers vs chaudières » encore récemment. Est-ce que les chansons paillardes échappent à cette pudibonderie ambiante ?

CB. On n'a pas comme but d’en faire un emblème. C’est un peu comme les fresques de salle de garde : on y est attachés mais ça reste dans notre intimité. Mais pour les chansons paillardes on n'a jamais été embêtés. D’ailleurs, les chansons que nous écrivons parlent souvent du milieu médical plutôt que de sexualité exacerbée. Et puis, il y a 70 % de femmes en médecine maintenant – encore plus dans la chorale de l’internat. On est bien loin des chœurs masculins d’antan.

WUD. La féminisation de la profession a-t-elle fait évoluer la tradition ?

CB. C’est le but du Plaisir des dieux : prendre une tradition ancienne, dont on ne nie pas l’aspect fortement masculin, et montrer qu’on peut garder le positif, sans s’attacher aux aspects misogyne ou sexiste qu'on pouvait y trouver. On s’aperçoit assez rapidement que les femmes s'approprient entièrement ces traditions, se les accaparent, et ne les modifient pas plus que ça. Les deux chefs de chœur précédents étaient des femmes, les deux présidents avant moi aussi. À l’heure actuelle, la vie des salles de garde est féminine.

Une angette passe. (Le Bréviaire du carabin, Elsevier-Masson.)


WUD. Quand vous serez PU-PH, vous pousserez la chansonnette en amphi comme certains profs emblématiques ?

CB. Si le contexte s’y prête, comme avant un WEI ou une soirée, je serais sans doute le premier à vouloir le faire. Réussir à faire un bel enseignement tout en montrant qu’on peut rester non élitiste et ouvert sur ses traditions, c’est très sympathique. Mais je n’en ferais pas une action militante. Tant que ça ne devient pas intrusif pour ceux qui n’ont pas envie d’en entendre, c’est parfait.

WUD. Pour finir, votre chanson préférée ?

CB. J’en ai deux. Une très vieille chanson qui s’appelle Les Cent Louis d'or, que j’aime beaucoup. Elle parle d’un trajet en diligence, et chaque refrain fait évoluer l'intrigue. Et Dans la chambre de garde, dont j’ai déjà parlé, qui est plus actuelle et raconte une garde d'interne avec un côté un peu nostalgique. Elle date de seulement dix ou quinze ans. Ça montre que la salle de garde est restée un lieu négligé, pas du tout valorisé, même dans les hôpitaux modernes !

 

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Perpétuer le folklore carabin

Fondée dans les années 90, l’association parisienne Le Plaisir des dieux se donne pour mission de préserver et faire vivre le folklore carabin, à travers la culture des salles de garde. Elle organise aussi des événements, comme le mythique Bal de l’internat de l’année dernière. L’asso compte également une chorale active, et gère – tiens, tiens – le site chansons-paillardes.net. Quiconque n’a pas vingt euros à dépenser en paillardises y trouvera d’ailleurs un bréviaire du carabin tout à fait réjouissant. Car oui, What’s up Doc prend soin de vos bourses.

Source:

Propos recueillis par Yvan Pandelé

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