1 100 médecins démissionneront sans une réponse à la hauteur des enjeux

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Plus de 1 100 médecins hospitaliers et chefs de service ont annoncé lors d’une conférence de presse ce matin qu’ils démissionneraient de leurs fonctions administratives si le gouvernement continue de refuser d’engager de "vraies négociations" pour augmenter les moyens de l’hôpital public. Compte-rendu.
 

1 100 médecins démissionneront sans une réponse à la hauteur des enjeux

« Nous représentons ici plus de 1 100 médecins hospitaliers (lire liste ici, NDLR), chefs de service qui ont décidé de démissionner de leurs fonctions administratives si le gouvernement continue de refuser d’engager de vraies négociations pour augmenter les moyens de l’hôpital public », a déclaré le Dr Xavier Mariette, chef de service rhumatologie à l’hôpital Bicêtre, lors d’une conférence de presse à la faculté de médecine La Pitié-Salpêtrière, ce mardi 14 janvier au matin.
 
Prise « la mort dans l’âme », cette décision de démissionner (lire ici le courrier envoyé à Agnès Buzyn) est « un geste politique très fort et nous la faisons avec tristesse, mais c’est aujourd’hui la seule solution pour alerter nos dirigeants sur la situation dramatique des hôpitaux publics », a poursuivi Xavier Mariette.  
 
Comment en est-on arrivé là ? En grande partie suite à l’instauration de la loi HPST et à la généralisation de la tarification à l’acte, selon le médecin qui a rappelé que « l’Ondam augmente depuis dix ans d’environ 2 % par an, alors que l’augmentation naturelle des hôpitaux est de l’ordre de 3,5 à 4 % par an, selon la Cour des comptes. »
 
Conséquence directe, depuis dix ans, il y a eu plus de 8,5 milliards d’économies qui ont été faits par les hôpitaux publics, c’est-à-dire 800 millions par an d’économie, selon Xavier Mariette qui estime qu’il y a eu beaucoup de réorganisation au sein des hôpitaux pour absorber ces économies.
 
Si bien que « la productivité a augmenté de 15 % en dix ans alors que le personnel n’a été augmenté que de 2 % ». Ces économies ont donc été faites « essentiellement sur le dos du personnel : pas de remplacement des départs à la retraite, et des congés maternités… »

4 000 postes d’infirmiers vacants à l’AP-HP

Autre chiffre éloquent rappelé par Xavier Mariette : le salaire des infirmiers en France est au 28e rang des 32 pays de l’OCDE. La conséquence de cette « gestion désastreuse du personnel » est évidente selon le médecin : « les infirmiers et aides-soignants quittent l’hôpital public, les postes deviennent vacants, les jeunes médecins sont en train de suivre le même chemin… »
 
Il y aurait aujourd’hui plus de 4 000 postes d’infirmiers vacants à l’AP-HP. Donc, par manque de personnel, on est donc obligé de fermer des lits. Et malgré la grève des services d’urgences depuis de nombreux mois, malgré la mobilisation du collectif Inter-Hôpitaux, le Premier ministre s’est contenté d’annoncer un plan de 1,5 milliard sur trois ans en novembre dernier.
 
Or, quand on analyse plus en profondeur ce plan, « il ne s’agit que de 200 millions par an, c’est-à-dire 600 millions sur trois ans sur un budget annuel des hôpitaux qui est de 85 milliards par an », selon Xavier Mariette qui estime qu’il s’agit d’une « goutte d’eau » laquelle va « uniquement servir à distribuer des primes éparpillées à différentes catégories de personnel, mais il ne résoudra en rien la crise profonde du personnel existant, et surtout ne permettra en rien de reprendre le recrutement absolument indispensable ».
 
D’après le médecin, il manque au moins 600 millions d’euros par an, « juste pour que l’hôpital arrête de faire des économies ». C’est pourquoi il a demandé « cet effort urgent car l’hôpital public est en train de s’écrouler ». Mais aussi une revalorisation des salaires des soignants et la réintroduction des services au centre de la gouvernance de l’hôpital.

50 chefs de services menacent de démissioner à Marseille 

D’autres médecins ont pris la parole pour témoigner de la situation dans leurs hôpitaux. À l’image du Dr Jean Luc Jouve, chef de service de chirurgie infantile et chef de pôle pédiatrie au CHU Marseille. Il a rappelé que 50 chefs de services des hôpitaux publics de Marseille ont proposé leur démission, soit 25 % des chefs de service de l’institution. En pédiatrie, c’est même 80 % des chefs de service qui ont proposé leur démission…
 
Le manque de moyens et la pénurie de personnel touchent dramatiquement tous les hôpitaux de la région selon lui. Et de citer un centre de recours régional de Marseille qui dispose d’une réanimation pédiatrique où « 60 enfants de l’hôpital d’enfants ont été annulés juste avant l’intervention le matin même, par manque de place en réanimation ».
 
C’est ensuite le Dr Joëlle Laugier qui a pris la parole. Responsable d'UF alcoologie à l’hôpital Delafontaine (Saint-Denis), elle considère que l’acte de démissionner est « un acte grave, majeur, profondément signifiant, car en totale rupture avec ce que nous tentons chaque jour de maintenir dans nos hôpitaux, à savoir continuer à prendre soin des patients et des équipes ».
 
Et d’alerter sur la dégradation de l’accueil et de la prise en charge des patients. Une « dégradation vertigineuse, sans précédent et qui fait prendre des risques aux malades comme aux soignants ». Sans oublier le « lot d’erreurs médicales que pourrait engendrer le manque de moyens que subissent les hôpitaux ».

Mépris de la réalité

Selon elle, la réponse apportée par le gouvernement est « si peu à la hauteur des enjeux. Elle est vécue comme une humiliation de plus, un mépris de la réalité, une surdité des pouvoirs publics ressentie par les collègues comme une violence supplémentaire. »
 
Et de demander au gouvernement de répondre en urgence aux revendications des personnels soignants qui s’expriment depuis de nombreux mois. La première des réponses serait la suivante : « Apporter pour qu’ils restent en poste, un correctif budgétaire de 1,5 milliard d’euros dès 2020 afin de renoncer à faire faire des économies aux hôpitaux. Et pour permettre l’augmentation immédiate de l’ensemble des salaires des personnels non médicaux à hauteur de 300 euros net par mois. »  
 
Quant à Xavier Mariette, il a tenu à rappeler que« les démissionnaires ne veulent rien pour eux ». S’ils démissionnent, c’est pour « sauver notre bien commun qui est l’hôpital public ». Et d’implorer Agnès Buzyn de « relever enfin la tête et de résister aux injonctions de Bercy ».
 
Et de conclure : « Soit on essaye de sauver l’hôpital public avec la vision qu’avait Robert Debré en 1958 et qui avait permis à la médecine française d’être classée au premier rang mondial par l’OMS au début des années 2000. Soit on revient vers l’hôpital hospice du XIXe siècle qui prend en charge les pauvres et les démunis, les autres ayant recours à la médecine privée. »
 
Si le gouvernement ne prend pas rapidement des mesures d’urgence dignes de ce nom, cela signifiera qu’il aura volontairement choisi la deuxième option.
 

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