Transparence des tarifs : pour vivre heureux, vivons cachés ?

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Libérale, la médecine ? Certainement pas au sens des économistes car la première caractéristique d’un marché libre, c’est la transparence des prix. Or en médecine libérale, les prix nommés "honoraires" ne sont pas un sujet que l’on aime aborder...

Transparence des tarifs : pour vivre heureux, vivons cachés ?

Officiellement, tout est clair. Soit un médecin libéral exerce en secteur 1, et ses tarifs sont fixés par l’Assurance Maladie. Soit il est en secteur 2, et fixe ses honoraires à sa guise, mais avec le fameux « tact » et la fameuse « mesure » requis par le Code de déontologie médicale. Dans les deux cas, depuis le décret du 10 février 2009, les prix doivent être affichés dans la salle d’attente du praticien.

Et gare au contrevenant : si celui-ci, après un premier avertissement, persiste dans son refus d’épingler le prix des consultations et des actes qu’il pratique dans son cabinet, il risque de se voir infliger une amende administrative par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Montant maximum de l’ardoise : 3 000 €.

À en croire le Conseil national de l’Ordre des médecins, le sujet s’arrête là. Le Dr François Simon, qui en préside la section de l’exercice professionnel, est catégorique : « Il y a une obligation d’afficher, point final. La question ne se pose pas, c’est la loi ». Et les réticences de certains praticiens à se conformer à ladite loi ? « Je ne sais pas si c’est une réticence. Il y a peut-être quelquefois des négligences », répond l’ordinal.

 

« PEUT MIEUX FAIRE »

Cette manière de botter en touche n’est pas du goût de tout le monde. Marc Morel, directeur du Collectif interassociatif sur la santé (CISS), estime que les médecins ne sont pas tout à fait de bons élèves en matière de transparence des prix. « Peut mieux faire », juge-t-il. « Globalement, les tarifs sont affichés, mais pas toujours de façon très lisible ». Et le militant de s’inquiéter du niveau de détail des informations que l’on trouve dans les salles d’attente : chez un dermatologue, par exemple, il n’y a pas que le prix de la consultation à mentionner, mais toute une série d’examens et d’actes qui ne sont pas toujours visés.

Mais à l’heure du numérique, n’y a-t-il pas quelque chose d’archaïque à se contenter d’une affiche pour assurer la transparence des prix ? Hôtels, restaurants, compagnies aériennes, et même complémentaires santé : tous les secteurs de l’économie sont désormais habitués à publier leurs tarifs sur Internet. Les acteurs optimisent leurs stratégies pour arriver en tête des résultats des comparateurs en ligne qui aiguillent le trafic numérique vers leurs sites. Ce qui pose pour les médecins une juste et réelle question éthique : doivent-ils se mettre à la page et définir une vraie politique tarifaire, au risque de devenir de simples vendeurs d’actes médicaux ?

 

UN MOUVEMENT INÉLUCTABLE

Le domaine médical a d’ailleurs il y a quelques années échappé de peu à l’implantation d’un site de comparaison des tarifs : en 2012, une start-up nommée Fourmisanté avait lancé une application qui, se basant sur les données de l’Assurance Maladie, permettait aux patients de rechercher le praticien le moins cher dans leur zone géographique. « Soignez-vous près de chez vous et gérez mieux votre budget santé », proclamait sa page d’accueil. Pour la première fois, les patients pouvaient visualiser en quelques clics les tarifs des praticiens exerçant dans leur zone géographique, ce qui avait pour conséquence de rendre possible la compétition sur les prix.

Mais l’expérience fut éphémère. Quatre mois après son démarrage, Fourmisanté a dû cesser de diffuser l’information sur les tarifs médicaux : la Sécu lui reprochait d’utiliser des données qui, bien que publiques, restaient sa propriété. L’échec de Fourmisanté n’est probablement qu’un épisode dans une marche inéluctable vers la transparence (et la concurrence) tarifaire.

Aux États-Unis, par exemple, les articles de presse sur l’endroit le moins cher pour se faire poser une prothèse de hanche sont aussi fréquents que le sont, en France, les classements des hebdomadaires sur les hôpitaux. Il faut dire que soit directement, soit par le biais de leur assurance privée, les patients américains supportent une partie bien plus importante de leurs dépenses de santé, et sont donc davantage incités à rechercher de « bonnes affaires ».

Alors les médecins en seront-ils bientôt réduits à s’autoqualifier de « bonne affaire » ? Et si oui, comment viendra le changement ? Probablement pas des réseaux sociaux : en matière de santé, ceux-ci sont certes un lieu d’échange entre patients, mais les discussions y portent plus sur la qualité perçue des prestations que sur les tarifs, explique Marc Morel, le directeur du CISS.

Mais cela ne veut d’après lui pas dire que les médecins ne doivent pas s’attendre à voir leurs habitudes changer : « Les patients posent de plus en plus de questions, et les médecins sont confrontés plus qu’avant à des demandes de nature économique ». Et le militant d’en rajouter : « Dans la société dans laquelle on est, on ira de plus en plus vers des sites d’évaluation et de comparaison. Plutôt que de les interdire ou les limiter, il faut réfléchir à la mise en place de sites bien encadrés, dans l’intérêt des usagers mais aussi dans l’intérêt des médecins ».

 

AU FINAL, L’ENJEU POUR LES MÉDECINS EST IMMENSE

Comment peuvent-ils garder leur identité sans se laisser dépasser par un monde où tout se marchande en ligne, du billet de train à la consultation de pédiatrie ?

Ne risque-t-on pas de voir émerger des métiers tels que celui du courtier en santé, qui établirait un devis sur la base des problèmes médicaux de ses clients, et derrière lequel le médecin n’interviendrait qu’en deuxième ligne ?

En acceptant la compétition tarifaire, la profession a-t-elle plus à gagner ou à perdre ? Enfin, last but not least : avons-nous vraiment le choix ?

 

 

En partenariat avec le groupe DOCTISSIMO

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