De la prison des hommes à la prison mentale

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Selon une étude réalisée par des psychiatres lillois, les deux tiers des prisonniers présentent un trouble psychiatrique à leur sortie de prison.

De la prison des hommes à la prison mentale

© IStock 

Plusieurs études l’ont déjà démontré, les personnes en détention en France souffrent d’un état de santé somatique et psychiatrique très détérioré par rapport à la population générale. Malheureusement, ces souffrances psychiques ne s’arrêtent pas à la porte du pénitencier, loin de là et les 60 000 à 70 000 personnes qui sortent chaque année de prison continuent de garder des séquelles psychiatriques.

C’est ce qui ressort de l’étude Santé mentale en population carcérale sortante (SPCS), réalisée par des psychiatres du CHU de Lille en collaboration avec Santé Publique France (SPF) dans le cadre de la feuille de route « Santé des personnes placées sous mains de justice 2019-2022 » et dont les premières conclusions ont été révélées à l’occasion du congrès français de psychiatrie de Lille le 3 décembre dernier. Dans le cadre de cette étude, 717 détenus (586 hommes et 131 femmes) ont été interrogés dans les 30 jours précédant la fin de leur incarcération au moyen du questionnaire MINI (Mini International Neuropsychiatric Interview) permettant d’évaluer la santé mentale.

Quelle que soit la maladie psychiatrique considérée, les femmes (qui représentent moins de 4 % des détenus en France) sont plus durement touchées

Il en ressort que les deux tiers des détenus masculins et les trois-quarts des prisonnières présentent un trouble mental et/ou une addiction au moment de la fin de leur détention. Quelle que soit la maladie psychiatrique considérée, les femmes (qui représentent moins de 4 % des détenus en France) sont plus durement touchées. Ainsi, 53 % des prisonnières souffrent de dépression au moment de leur libération (30 % des prisonniers), 57 % d’entre elles présentent des troubles anxieux (32 % des hommes), 59 % souffrent d’une addiction (49 % des hommes) et enfin 27 % des prisonnières souffrent d’un stress post-traumatique lié à leur détention, contre seulement 11 % des hommes. « Nous refaisons le constat d’une prévalence très élevée de troubles psychiatriques en prison en France » conclut le Thomas Fovet, coauteur de l’étude.

Bien sûr, cette forte prévalence des troubles mentaux à la sortie de prison n’est pas que la conséquence de l’emprisonnement, puisque la part de détenus présentant une affection psychiatrique au début de leur incarcération est également très importante. Ainsi, l’étude SPCS nous indique que 50 % des détenus étaient déjà suivis en psychiatrie ou en addictologie avant leur incarcération. Thomas  Fovet avait déjà conclu dans une précédente étude de 2020 que la prévalence des troubles psychiatriques était trois plus élevée chez les personnes nouvellement incarcérées que dans le reste de la population. La dernière enquête nationale datant de 2006 faisait état de 36 % de prisonniers présentant un « trouble psychiatrique de gravité marquée à sévère ».

52 % des femmes incarcérées et 42 % des hommes prisonniers interrogés estiment que l’incarcération a eu un impact positif sur leur santé mentale

Paradoxalement, 52 % des femmes incarcérées et 42 % des hommes prisonniers interrogés estiment que l’incarcération a eu un impact positif sur leur santé mentale. C’est que pour des populations très marginalisés, l’incarcération est parfois malheureusement la première occasion de bénéficier d’une réelle prise en charge psychiatrique. « Il faut confronter ce chiffre à leur parcours de soins : y-a-t-il une corrélation entre le fait d’avoir un suivi plus intense en détention, comparé à leur prise en charge précédente et cet effet positif ? » se demande Thomas Fovet. « Cela donne des perspectives pour analyser véritablement l’effet de l’incarcération sur la santé mentale ».

https://www.whatsupdoc-lemag.fr/article/la-prison-est-un-lieu-ou-il-nest-pas-possible-de-sepanouir

Les résultats complets de l’étude SPCS seront révélés à la fin du mois, afin d’avoir un « meilleur regard sur les besoins de soins et d’accompagnement » des ex-détenus. Pierre Thomas, chef du pôle de médecine pénitentiaire au CHU de Lille rappelle que « la mortalité des ex-détenus dans les cinq ans suivant leur libération est quatre fois supérieure à la moyenne en population générale ».

Grégoire Griffard

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