Dans les fumoirs d’Abidjan, de l’héroïne à la méthadone

Article Article

En Côte d’Ivoire, la méthadone est disponible depuis un an. Faute de ressources financières et de lenteurs administratives, seules 17 personnes en bénéficient…

Dans les fumoirs d’Abidjan, de l’héroïne à la méthadone

Sous une chaleur écrasante, des bouteilles en plastique se mêlent à la terre et aux matelas. A l’ombre, un enfant dort. Dans ce lieu surnommé “le fumoir de Treichville”, une voie de chemin de fer sert de frontière entre dealers et consommateur. “ça fait cinq ans que je fume de l’héroïne et du crack, reconnaît Bijou, 23 ans. Mon papa ne veut plus me voir à cause de ça. Du coup je reste là, je fume et quand j’ai plus rien je mendie pour acheter ma came.” Sur sa joue, la cicatrice d’une bagarre qui a mal tourné. 

Quatre fois par jour, elle s’installe sur son matelas, derrière les herbes hautes un peu à l’ombre, pour fumer son mélange de crack, de cannabis, d’héroïne et de tabac. 

 

« L’hôpital ne voulait pas de moi »

A Abidjan, il y aurait plusieurs centaines de fumoirs qui grossissent à l’abri des regards, cachés au bout d’une allée, sur un terrain vague, sous un pont ou comme ici, aux abords d’une voie de chemin de fer. Les derniers décomptes des ONG parlent de plus d’un millier de consommateurs réguliers d’héroïne, de cocaïne et de crack (cocaïne basée) dont 45% ont moins de 25 ans.  

Hassan lui a perdu le compte. “Je crois que j’ai 28 ans mais je n'en suis pas sûr. J’ai perdu mes deux parents pendant la guerre. Après ça, je suis venu à Abidjan après pour trouver du travail. Depuis je fume.” Ses jambes le portent mal. Une descente de police qui lui a laissé des séquelles. Ici, beaucoup décrivent des réveils à coup de matraque, des démantèlements où leurs affaires sont brûlées et la peur d’être arrêté·es.  

Dans la poche d’un pantalon beaucoup trop grand plus lui, Olivier 48 ans conserve un certificat médical comme une preuve qu’il a tenté de quitter le fumoir. "L'hôpital ne voulait pas de moi, j’ai été pris en charge pour un AVC mais pas pour la drogue. Quand j’avais plus de chance de mourir, ils m’ont demandé de partir.”

En Côte d’Ivoire, il existe peu de structures qui prennent en charge les consommateurs. Cette charge revient aux ONG comme Espace Confiance, lancée en 1994 ou encore comme Médecins du Monde. Ils organisent des visites dans les lieux de consommation pour la prévention des IST et de la tuberculose. En 2020, ils ont aussi accompagné une quarantaine d’usagères de drogues pendant leur grossesse. 

 

Au Casa pour la méthadone

Face à cette situation, en 2018, des profesionnel·les de santé lancent un lieu de santé communautaire : le Casa. Ce centre de soins et d’accompagnement en addictologie prend en charge gratuitement presque 3000 personnes.

Dans ce lieu, chaque personne trouve un espace safe pour se reposer, laver son linge, rencontrer une assistante sociale, voir des médecins et / ou une infirmière, explique Brunelle Bahi, 36 ans, médecin. On va s’occuper des soins primaires, des infections courantes mais aussi des conséquences de la violence extérieure.” À l'entrée, des graffs et des dessins rappellent les histoires des bénéficiaires entre rupture familiale et rejet. 

Ce lieu a aussi été choisi en février 2021 pour accueillir le premier programme de traitements substitutifs aux opioïdes (TSO) en Côte d’Ivoire [NDLR Traitement pharmacologique à destination des personnes dépendantes aux opioïdes, non indiqué dans la dépendance à la cocaïne/crack]. A ce jour, seule la méthadone y est autorisée et dix-sept personnes en bénéficient. Dont Christophe, 44 ans, sous traitement depuis six mois.

J’ai commencé à fumer après la crise ivoirienne et peu à peu j’ai tout perdu. J’ai été arrêté, mes parents ont dû venir me chercher et payer pour moi. Mais depuis que je viens ici pour la méthadone, j’ai tout arrêté.” 

Ce mince espoir pousse Rachelle, 43 ans, à attendre chaque jour au Casa pour entrer dans ce programme d’accompagnement. “Je fume depuis 1993, j’ai deux enfants mais je n’ai pas la méthadone.” Faute de financements suffisants et face aux lenteurs administratives, les médecins du Casa ne peuvent augmenter le nombre de personnes sous méthadone. “Pour l’heure, nous n’avons pas assez de disponibilités et de visibilité pour ouvrir ce programme à plus de personnes”, explique le docteur Camille Anoma, directeur d’Espace Confiance. “Pourtant, la demande est là.” 

De son côté, le ministère de la santé répond que le covid n’a pas facilité la mise en place de ce programme, entièrement financé par le Fonds mondial de lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme. Puis ajoute que les structures sécurisées manquent dans le pays pour accueillir plus de méthadone. 

Au fumoir, Bijou espère, après sa prise en charge contre la tuberculose, pouvoir s’inscrire sur la liste d’attente pour la méthadone qui compte déjà plusieurs centaines de personnes. Elle se retourne et lance : “Dîtes à ma mère que je suis vivante, que je suis là. S’il vous plaît, dîtes lui. Je ne veux pas qu’on m’oublie.”

Les gros dossiers

+ De gros dossiers