Retraite à point

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Critique de "Madame Hofmann", de Sébastien Lifshitz (sortie le 10 avril 2024). COVID, AVC, famille touchée par la maladie, crise de l'hôpital, épuisement professionnel... En quelques années, Sylvie Hofmann voit sa vie de soignante, d'aidante, de femme, bouleversée. Petit à petit va germer en elle une idée saugrenue : et si elle prenait sa retraite? 

Retraite à point

Sébastien Lifshitz nous offre à nouveau un documentaire dans l'air du temps, qui n'a peut-être jamais été autant "scénarisé". Au bénéfice indubitable de l'émotion, mais également au risque d'une vision orientée et simplificatrice.

Madame Hofmann est un film qui condense les deux principales compétences, indéniables et portées régulièrement au sommet, du Sébastien Lifshitz documentariste - genre qu’il semble avoir définitivement adopté. Ces deux qualités sont reliées vers un seul but, que l’on pourrait qualifier de fictionnisation du réel. Ou comment, à partir de l’anodin, du banal ou du quotidien, faire surgir le romanesque d’une vie. Le procédé peut d’ailleurs s’effectuer en sens inverse, par exemple dans l’insurpassable les Invisibles, où des personnes homosexuelles du troisième âge, célibataires ou en couple, nous accueillaient dans l’intimité de leurs parcours qui, malgré une clandestinité qu’impliquait l’époque, restaient terriblement universels. 

Le premier aspect de Madame Hofmann, qui est également le plus réussi, est cette capacité à faire naître, très rapidement, une empathie, et à susciter un intérêt constant, tendu par une émotionnalité qui fait qu’à partir de petits riens autant que de points de bascule, cette infirmière dévouée devient un personnage qui se matérialise, dont on attend chaque péripétie en ayant la conviction qu’elle montrera à ces occasions toute l’humanité, l’universelle humanité, que Lifshitz a su déceler et retranscrire. Cette façon de mener Sylvie Hofmann, plus que de se laisser mener par elle, vers sa prise de conscience, de scénariser les différents facteurs qui précipitent sa décision pour en faire un enjeu qui finit par la dépasser, concourt à la matérialisation d’un chemin de vie captivant.

Lifshitz est également un documentariste militant, et ne manque jamais de se servir de sa puissance évocatrice pour offrir une grille de lecture claire à son public. C’est peut-être la première fois que cet aspect-là est aussi ostensible, et la première fois également que cela a pu, par moments comme à distance de la vision du film, nous déranger. Le fait d’être soignant n’y est probablement pas pour rien. Car, bien qu’il suive constamment son héroïne et lui laisse régulièrement la parole, il n’en reste pas moins maître du montage, et de la sélection de ce qu’il voudra bien montrer d’elle. En privilégiant des confidences et des  séquences « sur le vif » suggérant une tendance prononcée au devoir voire à la dévotion, et en ne montrant quasiment que cela, dans un récit où l’intime et le professionnel se mêlent progressivement - l’on pense au récit du sauvetage de sa fille qui est superposable à celui qu’elle fait, dans une séquence antérieure, de ses moments d’infirmière les plus stressants; ou encore à la façon dont elle semble être entrée dans la profession sous l’angle du traumatisme - Lifshitz inscrit ce très émouvant portrait de femme dans une imagerie convenue et mainstream, celle du soignant héroïque et sacrificiel. Paradoxalement au détriment d’une dimension politique qui, si elle est palpable malgré tout, est considérablement atténuée : parmi tous les moments d’actualité qui ponctuent le film, le mouvement massif contre les retraites est singulièrement absent…

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