Travail collectif en ophtalmo : des médecins détendus du chrono !

Article Article

Le partage de tâches entre les ophtalmologues et les orthoptistes s’est accéléré depuis les décrets de 2001 et 2007. À la clé : un gain de temps qui permet de se focaliser sur la pathologie complexe. Les difficultés de recrutement d’orthoptistes devraient être bientôt jugulées. En revanche, un point de ce partage pose problème aux ophtalmos qui étaient dans la rue fin octobre : l'Assemblée, en votant le projet de budget 2022 de la Sécu, a laissé en l'état l'article 40 qui donne la possibilité aux orthoptistes de prescrire des lunettes directement. 

Travail collectif en ophtalmo : des médecins détendus du chrono !

71 % des ophtalmologistes exercent aujourd’hui en travail aidé, selon le Syndicat national des ophtalmologistes de France (Snof). Un chiffre qui monte même à 86 % pour les praticiens de moins de 50 ans. 

Les premières délégations de tâches des ophtalmologues vers les orthoptistes remontent à la fin des années 1990. Puis 2 décrets successifs ont précisé les contours de cette délégation et entraîné une montée en charge rapide ces dernières années. Un décret de juillet 2001 a fixé la liste des premiers actes pouvant être effectués par les orthoptistes, sur prescription médicale (acuité visuelle, périmétrie, campimétrie, exploration du sens chromatique, rétinographie, électrophysiologie oculaire, etc.). Un second décret publié en novembre 20071 a étendu cette liste à d’autres actes (étude de la vision nocturne, topographie cornéenne et OCT, angiographie rétinienne, pose de lentilles, etc.).
Au Centre ophtalmologique Paris 17-SOS Œil, le Dr Romain Jaillant, ophtalmologue spécialiste de la rétine, du glaucome et de la chirurgie réfractive explique la répartition du travail : « Nous sommes 3 ophtalmologues et déléguons aux 6 orthoptistes la réalisation des paires de lunettes et de nombreux examens complémentaires. Et ces derniers continuent bien sûr à exercer leur cœur de métier, à savoir les bilans orthoptiques et la rééducation. Par ailleurs, une optométriste salariée s’occupe de nos adaptations en lentilles ».

Quels bénéfices ?

Côté médecins, le gain de temps médical et technique est très apprécié. « Dans notre cabinet, nous recevons beaucoup de pathologies. Nous, ophtalmologues, nous occupons moins des lunettes dont la mesure est principalement effectuée par l’orthoptiste, ce qui nous permet de nous concentrer sur le temps médical et le dépistage. Quand un patient vient se faire opérer pour une chirurgie rétractive, par exemple, les orthoptistes font tout le bilan d’un coup (topographie, dilatation, OCT). Cela me dégage davantage de temps pour les pathologies complexes et rend mon métier plus médical et plus efficient », estime Romain Jaillant. 

Côté orthoptistes, la pratique quotidienne a aussi beaucoup changé. « Notre métier est devenu plus varié et nous pouvons désormais suivre tout le parcours du patient, depuis le bilan préopératoire jusqu’à la rééducation postopératoire, souligne Ivo Trinta, secrétaire adjoint du Syndical national autonome des orthoptistes (Snao). À tel point que les 3 années actuelles de formation sont un peu trop courtes pour tout apprendre… Nous demandons des masters de pratique avancée, afin d’approfondir notre formation et de devenir un peu comme des sages-femmes de la filière visuelle ».
Jusqu’à présent, la délégation a beaucoup fonctionné avec des orthoptistes salariés par des cabinets de groupe, mais « les jeunes générations sont plutôt tournées vers une activité mixte, avec quelques jours d’activité libérale par semaine », indique Ivo Trinta. 

Côté patients, les délais pour obtenir un rendez-vous ont légèrement raccourci, une bonne nouvelle dans un contexte d’accès aux soins très tendu au début des années 2010. Selon le Snof, le délai moyen d’obtention d’un rendez-vous est passé en 2020 de 68 à 61 jours, dans le cas d’un contrôle périodique. Entre 2015 et 2019, 3,1 millions de patients supplémentaires ont pu consulter un ophtalmo, notamment grâce au développement du travail aidé. 

Une pénurie d’orthoptistes ? 

« Sur le terrain, il y a de moins en moins d’orthoptistes disponibles car ils sont très sollicités. Certains cabinets d’ophtalmologie se tournent alors vers les optométristes… », constate Romain Jaillant. Une situation hors cadre légal car les optométristes ne sont pas mentionnés dans les décrets relatifs à la délégation et au transfert de tâches en ophtalmologie... Selon un rapport IGAS de janvier 2020 sur la filière visuelle2, « la France est le pays dans lequel les optométristes ont le champ de compétences le plus restreint, ce qui est logique puisque leur profession n’est pas reconnue et qu’ils exercent en tant qu’opticiens-lunetiers ». Par ailleurs, des infirmiers sont aussi de plus en plus recrutés dans des cabinets d’ophtalmologie, notamment pour des soins au bloc. Mais selon le Snao, les tensions actuelles sur la filière des orthoptistes devraient se résorber rapidement : « 400 orthoptistes sont formés chaque année, contre 200 auparavant. Il y a actuellement plus de 5 000 orthoptistes en exercice et ils seront plus de 7 000 en 2025 », estime Ivo Trinta. De quoi répondre à la demande. 

Lire l'intégralité de notre Gros dossier sur le soin en partage

A lire aussi : Accès direct aux orthoptistes : l'Assemblée nationale valide

L’ANJO en grève pour que les ophtalmos ne perdent pas de vue le dépistage

 

Source:

1. Le décret n° 2001-591 du 2 juillet 2001, paru au Journal Officiel de la République Française le 9 juillet 2001, fixe la liste et les conditions des actes professionnels que peuvent accomplir les orthoptistes. Il a été modifié par le décret n°2007-1671 du 27 novembre 2007.

2. La filière visuelle : modes d’exercice, pratiques professionnelles et formations. Rapport IGAS N°2019-074R/IGESR N°2019-154.

Les gros dossiers

+ De gros dossiers