Quelle est la juste sanction pour un médecin qui a couché avec sa patiente ?

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Une décision de la chambre disciplinaire ordinale en région Paca, rendue publique mi-mars, relance le débat sur les relations sexuelles entre un médecins et patients.

Quelle est la juste sanction pour un médecin qui a couché avec sa patiente ?

Un simple avertissement. Telle est la sanction dont a écopé un psychiatre reconnu coupable par la chambre disciplinaire du Conseil régional de l’Ordre des médecins (Crom) de Marseille d’avoir eu dans son cabinet des relations sexuelles avec l’une de ses patientes. Cette décision, rendue publique juste avant le confinement, a fait bondir le Dr Dominique Dupagne, généraliste parisien qui a notamment fondé le site Atoute.org, et qui avait il y a deux ans initié une pétition pour faire ajouter dans le code de déontologie médicale un article interdisant les relations sexuelles médecin-patient.
« On a des juridictions régionales qui n’en font qu’à leur tête et qui se fichent complètement de la jurisprudence », s’emporte le praticien qui relate toute l’affaire sur son site. L’histoire en question est en effet selon lui typique de tout ce qu’il cherche à dénoncer depuis plusieurs années. « Ce n’est pas parole contre parole, il y a des preuves, des SMS…, énumère-t-il. C’est exemplaire. Un avertissement pour cela, je n’en crois pas mes yeux. »

Un phénomène d’emprise

Le cas de Cassandre* avait déjà été médiatisé au moment de la pétition de Dominique Dupagne. Cette infirmière, qui avait 31 ans au moment des faits, a notamment témoigné dans l’émission La Tête au Carré, sur France Inter. Elle y a raconté comment en 2014, alors qu’elle suivait depuis quelques mois une thérapie avec le psychiatre incriminé, celui-ci l’a invitée à s’asseoir sur ses genoux. Croyant que cela participait du travail thérapeutique et quelque peu tétanisée, Cassandre s’est exécutée. Le psychiatre l’a embrassée, et s’en sont suivis plusieurs mois de relations sexuelles au cabinet. « Ça a été vraiment un phénomène d’emprise », racontait-elle sur les ondes de France Inter en 2018.
Pour Dominique Dupagne, le caractère scandaleux de l’affaire tient dans le fait que, bien que reconnaissant le psychiatre coupable d’avoir eu des relations sexuelles avec cette patiente, la chambre disciplinaire ait jugé que la sanction appropriée soit l’avertissement, soit la punition la plus légère qu’elle puisse infliger. Il souligne qu’un an après sa pétition de 2018, le Conseil national de l’Ordre des médecins, (Cnom) avait modifié son commentaire à l’article 2 du code de déontologie médicale, précisant à l’intention de ceux qui ne l’auraient pas encore compris que le médecin « doit s’abstenir de tout comportement ambigu en particulier à connotation sexuelle (relation intime, parole, geste, attitude, familiarité inadaptée…) ». Le Cnom mentionnait par ailleurs dans ce commentaire une jurisprudence de la chambre disciplinaire nationale datant de 2016, qui stipulait que « les relations intimes s’apparentent à un abus de faiblesse ».

Dépaysement obligatoire ?

La question est donc la suivante : l’avertissement est-il une sanction appropriée en cas d’abus de faiblesse ? On aurait aimé avoir la réponse qu’apportent à cette question le Cnom, le Crom de Paca ou les membres de la chambre disciplinaire ayant jugé l’affaire de Cassandre. Malheureusement, mardi soir, aucun d’entre eux n’avait répondu à nos demandes de commentaires.
Pour Dominique Dupagne en revanche, l’affaire est entendue. « Si l’Ordre veut qu’on lui fasse confiance, il faut qu’il donne des preuves », explique-t-il. Le généraliste en appelle donc à « dépayser toutes les affaires à connotation sexuelle », c’est-à-dire à les faire juger par des juridictions géographiquement éloignées des lieux où ont été commis les faits. L’idée étant d’éviter que des conseillers ordinaux ne soient tentés de protéger la réputation d’un confrère accusé d’abus. « Le mieux serait de faire passer directement ces affaires devant une commission nationale », juge Dominique Dupagne. Et si le Cnom de parvient pas à donner satisfaction, il faut selon lui « que le législateur retire à l’Ordre la gestion de ce type d’affaires, car on sait que les corporations ont beaucoup de mal à gérer leurs brebis galeuses. »
Reste le sort de Cassandre elle-même. Celle-ci a, d’après Dominique Dupagne, décidé de faire appel de la décision de la chambre régionale. Son cas sera donc étudié par la chambre nationale… dans un an ou deux. Le nouveau jugement « alourdira très probablement la sanction », prédit le généraliste, car la juridiction d’appel est généralement plus sévère que les chambres de première instance dans ce genre d’affaire. « Pour peu que son abuseur dépose ensuite un recours en Conseil d’État, il atteindra l’âge de la retraite avant le jugement définitif dont il n’aura plus à se soucier, poursuit Dominique Dupagne. Quant à Cassandre, elle aura perdu du temps et subi beaucoup d’humiliations inutiles. »
* Prénom d’emprunt
 

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