Premier volet : la peur

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Henri-Georges Clouzot aurait soufflé ses cent bougies cette année. Le monde du cinéma le fait à sa place, en ressortant l’ensemble des oeuvres de note Hitchcock national.

Premier volet : la peur

Peut-être même supérieur au maitre, puisque, plus discret et moins prolixe, il a moins de fautes de gout à son actif. Pour l’occasion, What’s up Doc vous invite à une rétrospective en triptyque, articulée autour des thèmes majeurs de son œuvre. 

Premier volet : la peur. 

Pas de doute, Clouzot était passionné par les tourments de l’âme humaine. Par son côté sombre également. Pour lui, les frontières entre angoisse, folie et cruauté sont poreuses, et chaque homme porte en lui une complexité qui fait aussi son humanité. L’inhumanité, elle, semble poindre dès lors que cette complexité est simplifiée ou niée. 

Dans tous ses films évoquant la peur, Clouzot établit un continuum entre angoisse et folie délirante. Qu’il s’agisse des quatre aventuriers risquant leur peau à chaque kilomètre du Salaire de la peur (1952), de l’héritière fortunée sous la férule de son tortionnaire de mari des Diaboliques (1954) ou du jeune psychiatre se retrouvant mêlé à un complot international dans Les Espions (1957), tous sont le reflet de nos propres angoisses. Avec toujours une interconnexion entre le caractère apparent, phobique, de l’anxiété et ses racines profondes, qu’il s’agit d’enfouir ou de découvrir. Jamais simple, puisqu’on vous le dit ! 

 

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Ainsi, dans le bien nommé Salaire de la peur, si l’angoisse immédiate réside dans le risque constant de finir déchiqueté par une explosion de nitroglycérine – celle que doivent transporter des baroudeurs à qui l’on a promis une petite fortune s’ils arrivent à bon port – la peur réelle semble être de ne pouvoir échapper à une vie faite d’ennui et de pauvreté. Le risque, la sensation forte sont vus à la fois comme la source de la peur et le seul moyen d’y échapper ! L’idée que l’angoisse puisse constituer la solution au problème ne date pas d’hier chez Clouzot : dans L’Assassin habite au 21, son premier film, c’est parce qu’elle pressent que l’homme qu’elle aime est en danger que l’héroïne trouve la solution au whodunit*. La panique qui la saisit, et qui lui permet de se confronter à l’évidence, est superbement illustrée par une mise en scène qui n’a rien à envier à Hitchcock. 

 

Dans Les Diaboliques, Vera Clouzot – épouse du réalisateur – interprète une jeune femme aux « nerfs fragiles », avec tous les clichés que cela peut recouvrir à l’époque. Il faut la voir trembler dans la première partie du film, celle qui expose son martyre de femme violentée psychologiquement par son mari, directeur de pensionnat tyrannique, puis dans la seconde, pour des raisons bien différentes (quoique…). Après avoir fait disparaître cet encombrant mari, la voilà assaillie de la peur panique d’être découverte. L’angoisse évolue inexorablement vers une culpabilité et un remords quasi délirants, la pauvre âme étant finalement confrontée à son incapacité à assumer son acte – quand on est bon, on est bon –… 

C’est surtout dans le méconnu et mésestimé Les Espions que Clouzot met tout son talent au service de sa vision : celle d’un monde dépassé par ses propres angoisses et sa paranoïa (nous sommes au début de la Guerre froide). Le postulat est l’un des plus géniaux qui soient : un directeur de clinique psychiatrique accepte, afin de sauver son établissement de la faillite, d’héberger temporairement un célèbre espion que toutes les puissances dominantes aimeraient débaucher. Autrement dit, le seul antidote à la folie du monde serait de se réfugier à l’asile ! La façon dont ce pauvre psychiatre se retrouve harcelé par les espions du monde entier offre des sommets de burlesque. Il ne trouvera son salut que grâce à l’une de ses patientes… 

Dans Le Corbeau comme dans Les Espions, la peur collective, celle qui conduit la foule à la chasse aux boucs émissaires ou à l’arme atomique, constitue le vrai danger. Offrant un miroir réfléchissant – dans les deux sens du terme – des époques tourmentées qu’il a traversées, Clouzot reste définitivement actuel !• 

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