Partum girl

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Critique de "Le Ravissement", d'Iris Kaltenbäck (sortie le 11 octobre 2023). Lydia est une jeune sage-femme à la dérive qui, parce qu'elle ne le montre à personne, pas même à sa meilleure amie, enceinte, va s'enfermer peu à peu dans des non-dits qui se transforment en mensonges. Quand elle croise un ex dans l'hôpital où elle vient d'accoucher son amie, la machine s'emballe.

Partum girl

C'est peu dire qu'Iris Kaltenbäck impressionne avec ce premier film, pure fiction aux allures de vrai fait divers, incroyablement maîtrisé et interprété.

Bouleversé, on l'est de plus en plus rarement au cinéma. Singulièrement cette année, en tout cas. Anatomie d'une chute, par exemple, était brillantissime mais tellement intelligent que l'émotion finissait par en être exclue. Le Règne Animal, qui s'installe en tranquille majesté sur les cîmes du box-office actuel, échoue aussi à l'être réellement. Il faut probablement un peu de modestie, au sein d'un grand talent, pour parvenir à ce niveau-là. Iris Kaltenbäck y réussit superbement. Son Ravissement nous a ravagé le coeur et la tête. Au milieu de toutes ces sorties, est venue l'envie impérieuse de soutenir ce film tout en discrétion, à l'image de ce filet de voix qu'Hafsia Herzi imprime à son héroïne, ses mots se heurtant à l'issue de ses voies aériennes, frêles comme manquant d'oxygène. Ce qu'elle réussit à incarner, cette dérive-là, cette intense absence à elle-même et à ce qui l'entoure, cette intériorité chavirante, est un exploit unique qui donne envie d'être célébré. 

Le Ravissement reste avant tout la description d'une mécanique implacable, non surlignée psychologiquement, avec une part de mystère que n'occulte pas la clarté de l'enchaînement des événements, portée par une chronologie dont on ne se dit jamais qu'elle correspond à des impératifs scénaristiques. Cette improbabilité, on y croit constamment, portés par la vérité de cette âme qui agit tel un miroir. Ce vide, à votre propre histoire et vos propres fragilités de le remplir, semble nous dire la réalisatrice.

Lydia n'est d'ailleurs pas la seule à porter sa part d'ombre, et le film laisse toute sa place à des personnages tout sauf anecdotiques, tout sauf caricaturaux, que sont sa meilleure amie Salomé et Milos, l'homme auquel elle se raccroche comme à une bouée, rencontre imprévue qui va servir de combustible au processus subdélirant qui se met en place. Nina Meurisse, confondante de naturel quelle que soit l'émotion traversée par son personnage, incarne une jeune mère pleine de vitalité qui bascule dans une véritable dépression du post partum et que le geste de sa meilleure amie va forcer à confronter à une maternité jusqu'alors anesthésiée. Quant à Alexis Manenti, il démontre après Les Misérables et Dalva qu'il sait tout jouer et est aussi à l'aise dans l'inhibition et la douceur que l'extraversion et l'agressivité. Un Jean Gabin des temps modernes. Ce trio est décrit et joué avec une intelligence amplifiée par sa fraîcheur.

Le film fait parfois penser à Chanson Douceà cela près que le désarroi pathologique de son personnage est décrit pour lui-même et ne constitue jamais un alibi à l'on ne sait quelle dénonciation. C'est ce qui lui permet d'accéder à une forme de pureté, à laquelle le titre renvoie. On ne dira rien de la façon dont ce qui est prévisible finit par advenir et se résoudre. Tout au plus reprendra-t-on l'énigme psychique que la voix off, intelligemment choisie comme étant celle de Milos, relève: à quel point Lydia est-elle consciente de ce qu'elle invente? Qui manipule-t-elle en priorité? Elle-même ou les autres? Est-elle dangereuse? A tout cela, Iris Kaltenbäck a l'habileté de ne pas apporter de réponse nette. Elle ne se défile cependant pas au moment de conclure cette histoire que, par coquetterie artistique ou par cohérence psychologique, tout portait à garder inachevée. Elle offre ainsi à toutes les Lydia une seconde chance, comme s'il suffisait d'un seul geste, d'un comportement dont le signifiant unique serait "je te vois", pour sortir de la réclusion que constitue l'invisibilité - peu importe qu'elle soit réelle ou imaginée. 

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