Ma vie de médecin à SOS médecin pendant le Covid19 et maman de 3 enfants en bas âge

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Le Dr Ophélie Choinet travaille à SOS médecin en Île-de-France, réalisant des consultations en cabinet et des visites à domicile. Elle nous livre le récit de son expérience professionnelle et personnelle à l’arrivée de la pandémie.

Ma vie de médecin à SOS médecin pendant le Covid19 et maman de 3 enfants en bas âge

"En décembre on nous parlait de cas en Chine de Covid-19, à Wuhan. Cela me paraissait tellement loin, un peu comme le SRAS en son temps, et je ne me sentais pas vraiment concernée. On évoquait des Français qui habitaient là-bas, que l‘on rapatriait, de confinement à Wuhan…
Puis cela a commencé à se rapprocher : le cas d‘un Chinois à Paris, plusieurs cas de touristes, un professeur français, puis le premier mort.
Quand l‘épidémie s‘intensifie dans le haut Rhin, que les écoles ferment, j‘ai commencé à m‘y intéresser de plus près. Mi-mars, mes filles sont bien malades avec bronchite asthmatiforme et fièvre pendant quelques jours. Je n‘ai même pas pensé au Covid : trop loin de chez nous encore!
 Et puis tout a basculé lors des discours du président et de la mise en confinement : il a bien fallu se résigner, ça y est, la vague arrive.
Mon premier problème a été : comment faire garder mes enfants? Arthur, quatre ans, est à l'école maternelle, mes filles jumelles (deux ans en mars) sont gardées par la nounou à la maison. Ouf, elle est d‘accord pour continuer, et garder en plus mon fils malgré les risques.
 Cela n‘a malheureusement pas été le cas pour de nombreuses mamans médecins avec qui je discute sur le groupe facebook (le divan des mamans médecins, je les embrasse d‘ailleurs), certaines ont vraiment galéré car leurs assistantes maternelles refusaient leurs enfants car à risque.

Cabinet réaménagé

 Au niveau professionnel, nous avons réaménagé le cabinet. Nous le partageons avec plusieurs médecins, kinésithérapeutes et infirmières. Aucun jeu pour les enfants en salle d‘attente, pas de magazines, chaises espacées d’un mètre, la secrétaire fait rentrer au compte-goutte les patients, et certains attendent dehors… Heureusement  il fait beau!
 Il a fallu ensuite trouver des masques ! La pharmacie proche du cabinet n‘avait malheureusement pas de stock et tout s‘était déjà volatilisé ! J‘ai finalement pu récupérer les masques FFP2 périmés de mes parents médecins datant de la grippe H1N1 : toujours mieux que rien ! Une amie dont le père est pharmacien avait réussi à m‘en garder une dizaine. Uniquement du système D, combien de temps tenir avec aussi peu de masques ? Un masque se change toutes les 4 heures, comment affronter un virus potentiellement mortel sans aucune défense ?
 Heureusement, de belles idées ont germé : pour stériliser les masques, on peut les chauffer au four à 80 degrés et réutiliser les FFP2, mais dans mon cas échec : l’élastique a fondu au four ! Faute de mieux, pour nous protéger, nous avons alors utilisé des masques de plongée Décathlon détournés grâce à l’ingéniosité d’Italiens et de Français (petite dédicace à Romain Bosc de Mondor) en Ventilation non invasive.
 Une superbe solidarité s‘est créée. D’abord venant de la famille : Mon père médecin retraité, m‘a sorti ses belles blouses d‘époque… OK, je n‘ai aucun style, mais je crois qu’il y a d‘autres soucis. Ma belle-soeur s‘est mise à la couture et a confectionné de beaux masques en tissu que j‘utilise avec une couche de “swiffer“. Elle a aussi réalisé des calottes pour mes cheveux. Je la remercie encore.
 Je salue aussi la solidarité des amis. Ainsi, une amie dentiste m‘a prêté du matériel : blouses, calottes, masques.
Une amie vétérinaire, Hélène Dropsy, que l‘on remercie énormément, a recensé tout le matériel disponible des vétérinaires d'Ile de France, pour aider tous les personnels soignants des hôpitaux, cliniques. Nous avons ainsi récupéré également des masques, des surblouses grâce à cette mobilisation.
 Nous avons aussi bénéficié de l'aide d‘inconnus. Suite à un message facebook (merci les réseaux sociaux), nous avons reçu des centaines de masques d’entreprises et de particuliers. Une jeune équipe d‘ingénieurs nous a fabriqué des visières par imprimante 3D : c‘est sûr on a un look de guerriers!
 Au début, j‘ai surtout vu les demandes de consultations diminuer à vue d'œil, plus personne ne veut se déplacer et se rendre dans un cabinet médical au risque d’y être contaminé. Puis les effets du confinement portent leur fruit, les épidémies saisonnières ont fondu. Gastro-entérite, Rhinite, Otite, notre quotidien a disparu ! Il faut adapter notre façon de travailler. Nous avons dû développer les téléconsultations et réguler la plupart des appels pour orienter les patients. La plupart ne présentant ni signes de gravité ni facteurs de risques, nous leur donnons juste quelques conseils et le numéro d‘une plateforme qui va les suivre.
 

La vague déferle

À J7 du confinement, la vague déferle : nous recevons beaucoup d‘appels à la demande du Samu, de demandes de visite pour des gênes respiratoires, des douleurs thoraciques à type d‘oppression, des dyspnéiques à l’effort puis au repos puis en détresse, j’hospitalise mes premiers patients, les besoins en oxygène explosent. Les angoissés aussi ont surgi, et après 15 jours de confinement, les anxieux décompensent, les journaux télévisés en boucle y participent.
Au début nous ne recevions en consultations que les patients non suspects de Covid, pour ceux à risque, la visite était la règle. Mais il a fallu changer notre façon de faire, car au final, tous les patients devenaient à risque. Les symptômes du Covid sont extrêmement variés. On ne peut plus juste compter sur le duo fièvre et toux sèche et l‘on voit beaucoup de symptômes pouvant ressembler à une gastro entérite, de simples douleurs thoraciques, oppressions, des simples rhumes, des anosmies-agueusies isolées. Enfin on apprend que 50% des gens seront asymptomatiques et potentiellement contagieux. Difficile d‘affronter un ennemi quand on a du mal à l‘identifier, à le reconnaître.
 

Ne pas contaminer ma famille

J‘ai dû adapter ma façon de travailler pour ne pas tomber malade et ne pas contaminer ma famille : douche après chaque série de visites, manteau, baskets dédiés, blouse, masque, désinfection du matériel par eau de Javel après chaque consultation, chaque visite. Cela prend du temps, mais c'est nécessaire pour ne pas devenir un vecteur du Covid.  Attention aux appareils électriques, ils n‘aiment pas trop l’eau ! J‘ai perdu 2 oxymètres à force de les asperger d‘eau de javel ! J’utiliserai les lingettes désormais.
 
Nous nous maintenons au courant quotidiennement de l‘évolution du virus : Contagiosité ? Symptômes? Qui envoyer aux urgences? Qui peut faire le test ?
Mais également l’administratif : qui bénéficiera d‘un arrêt de travail ? Combien de temps? Qui est pris en charge ? Y a t‘il des délais de carence ? Etc. 
Avec mes collègues de SOS Médecin77 nous avons créé un groupe WhatsApp sur le Covid pour recenser  les articles, les cas cliniques, les recommandations du ministère.
 
Rapidement, nous avons dû remonter nos manches pour répartir les gardes d‘un collègue, malade à son tour, des collègues hospitaliers réquisitionnés, d‘un collègue ayant des facteurs de risque dont un asthme non stabilisé : Il faut le protéger.
 

Interne

Je suis maître de stage et j‘ai une interne en niveau 1. C'est la fin de son stage et j’ai maintenant toute confiance en elle, j‘ai pu la mettre à contribution : elle assurait les consultations et téléconsultations pendant que je pouvais partir en visite pour les patients dyspnéiques. Son stage va être prolongé jusqu'à fin mai afin d‘aider au mieux en pleine  épidémie. Elle est volontaire pour des gardes supplémentaires aux urgences.
 Je me suis inscrite sur l‘appli MedGo pour me porter volontaire les jours où je ne travaille pas à SOS, et je reçois des demandes sans cesse grandissantes pour aider dans les services d’urgences, les hôpitaux, les centres Covid, les Ehpad, les services de médecine interne, pneumologie, maladies infectieuses etc. Dans notre maison de santé, certains médecins n‘ont gardé que 2 jours de consultation dans leur cabinet et partent aider à l‘hôpital le reste du temps.
 

Nounou malade

À J14 du confinement, la nounou m’appelle car elle est arrêtée deux semaines. Elle présente les symptômes du Covid : toux sèche, fièvre. Depuis une semaine elle était anormalement fatiguée et courbaturée, elle en attribuait l’origine à une chute la semaine précédente… Comment faire avec les enfants ? Mon mari télétravaille, mais il bosse comme un fou… L'école refuse de garder mon fils (4 ans) car mon mari télétravaille. Je trouve finalement un centre périscolaire qui ouvre exceptionnellement pour garder les enfants de personnels soignants. La nounou m‘ayant prévenu un samedi, et avec une semaine qui s‘annonce bien remplie, je désespère. Finalement, la cellule de crise en mairie de ma ville rappelle dimanche et me propose une solution de crèche dès le lundi pour mes jumelles. Ouf ! Sauvée ! Je peux  retourner au front l‘esprit libre. Je me suis ainsi portée volontaire  au centre Covid de Créteil.
 
En pleine épidémie, l‘entraide est primordiale et chaque geste compte. Notre restaurateur habituel nous a préparé des petits plats et offert des fruits et légumes. Mon primeur se propose de nous livrer. Je reçois des messages d‘encouragements de mes amis et de ma famille. On n‘a jamais été aussi soudés et bienveillants avec mes collègues. Les applaudissements de 20 heures nous touchent…
 Oui on travaille plus, mais on sait que notre rôle est essentiel dans cette crise.  
Plus tard, à la question:  "Tu faisais quoi pendant l‘épidémie de 2020?", je saurai répondre.
 
À l'heure ou j’écris, nous ne connaissons pas encore notre sort. Une semaine, un mois, un an ? Le confinement doit durer officiellement encore deux semaines mais on imagine qu’il sera prolongé. Tout doucement les cas se rapprochent de notre sphère familiale et relationnelle, nous apprenons des deuils la touchant. La fatigue et le stress augmentent de jour en jour certes, mais je fais face, nous faisons face. Un devoir, une contrainte ? me direz-vous. Nous sommes là pour une grande cause et nous sommes fiers de pouvoir contribuer chacun à notre échelle au combat contre le Covid19.
De mon côté, c’est sûr, j’en sortirai grandie. Débrouille, entraide, solidarité, organisation, urgence, adaptation, résilience, tous ces mots viennent de prendre un autre sens !"

Dr Ophélie Choinet
 
 
 
 

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