« Une simple prise de sang aurait pu la sauver » : un hôpital alsacien condamné pour la mort d’une mère de famille

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Suite à un manquement grave dans sa prise en charge aux urgences du centre hospitalier de Guebwiller (Haut-Rhin), Flavy Bousquet est décédée subitement en novembre 2016, à l’âge de 32 ans. Son mari Guillaume a récemment obtenu la condamnation de l’hôpital devant le tribunal administratif de Strasbourg, après 6 ans de bataille juridique. 

« Une simple prise de sang aurait pu la sauver » : un hôpital alsacien condamné pour la mort d’une mère de famille

À gauche, Guillaume, Flavy et leurs cinq enfants en 2016. À droite, l'hôpital Charles Haby de Guebwiller © DR

Le verdict est tombé fin novembre 2023. Le tribunal administratif de Strasbourg a reconnu la responsabilité du centre hospitalier de Guebwiller (Haut-Rhin) dans la mort de Flavy Bousquet, jugeant que plusieurs fautes avaient fait perdre à la jeune femme 80% de ses chances de survie. Une victoire après de longues annéesa d’incertitude et de bataille juridique pour son mari Guillaume et leurs cinq enfants, qui peuvent enfin tourner la page sur cet évènement tragique. 

Le 22 novembre 2016, Flavie Bousquet, 32 ans et mère de cinq enfants, est admise aux urgences de l’hôpital de Guebwiller, après avoir passé quatre jours clouée au lit par ce qui s’apparente à une grippe. Son mari avait décidé d’appeler les secours après l’apparition de symptômes plus inquiétants comme la perte de vision et d’audition. 

Malgré son état grave, Guillaume est appelé pour venir la rechercher à peine deux heures après son admission, l’équipe de garde lui ayant administré du paracétamol pour faire baisser la fièvre. 

Il la raccompagne chez lui après un bref passage à la pharmacie pour récupérer l’Advil prescrit par les médecins.

« À ce moment-là, je suis rassuré, se souvient-il, je me dis qu’ils ont fait leur travail et qu’il n’y a rien de grave. Malheureusement, ce n’était pas le cas ».

Au cours de la nuit suivante, Flavy perd deux fois connaissance, ce qui pousse son mari à recontacter le 15. Flavy est emmenée en urgence, cette fois à l’hôpital de Colmar, d’où elle ne ressortira jamais. 

« Nos enfants ont tout juste eu le temps de lui faire un bisou d’au revoir. Moi-même, je n’en ai pas eu l’occasion, et je ne l’ai plus jamais revue après ». 

Flavy Bousquet décède dans l’après-midi de ce que les médecins estiment être une méningite foudroyante. Pourtant, les résultats sanguins demandés par l’hôpital de Colmar le jour du décès ne révèlent aucune trace de méningite. 

Une perte de chance de survie estimée à 80%

Des questions émergent alors aussitôt parmi les proches. Comment expliquer qu’aux urgences la veille de son décès, les symptômes de Flavy n’aient pas alerté les médecins ? Pourquoi le premier hôpital n’a réalisé aucun prélèvement sanguin, alors même qu’un cathéter avait été posé pour administrer du sérum physiologique et du paracétamol ? Et surtout, s’il n’y a pas de trace de méningite, de quoi Flavy est-elle décédée ?

Après une procédure pré-contentieuse non satisfaisante, Guillaume et son avocat font appel à des experts médicaux indépendants. Ceux-ci reconnaissent rapidement les manquements de l’hôpital de Guebwiller dans la prise en charge de son épouse. 

Des résultats qui seront confirmés par la suite par l’expert mandaté par le tribunal administratif de Strasbourg, saisi début 2021. 

Fin 2023, le juge rend son verdict : « Il résulte de l’instruction, et notamment du rapport de l’expert désigné par le tribunal, que le manquement imputable au centre hospitalier de Guebwiller a fait perdre une chance de survie à Mme Bousquet qui peut être estimée à 80% ».

Le tribunal reconnaît ainsi deux fautes commises par les équipes médicales de l’hôpital de Guebwiller. 

« En se bornant à diagnostiquer une grippe au vu d’une analyse partielle et superficielle des symptômes que présentait Mme Bousquet, en ne procédant pas à des examens complémentaires afin d’assurer le diagnostic exact, le centre hospitalier de Guebwiller a commis une première faute » peut-on lire sur le procès-verbal du jugement. 

La deuxième faute commise par l’hôpital concerne la prescription d’Advil « sans avoir réalisé au préalable des investigations suffisantes ». 

Les trois experts médicaux sont formels. L’hypothèse de la méningite foudroyante est la seule pertinente, malgré l’absence de trace dans la prise de sang. Un résultat négatif causé par « l’administration d’antibiotiques le matin du 23 novembre, qui ont détruit tous les germes de la méningite », précise Guillaume. 

Il aura donc fallu sept ans à Guillaume Bousquet pour connaître les raisons du décès de son épouse. 

Des condamnations pas à la hauteur de la faute 

Flavy Bousquet aurait donc pu être sauvée si l’hôpital de Guebwiller, qui l’a admise en urgences la veille de son décès, avait réalisé une simple prise de sang, ce qui aurait pu déceler la méningite. Un protocole « incontournable » selon les experts, au regard des symptômes que présentait la jeune femme.

Le tribunal conclut en effet que « le tableau clinique » que présentait Flavy à son arrivée « aurait dû alerter les médecins (…) de la gravité de la situation et les inciter à réaliser des analyses biologiques ou radiologiques complémentaires ».

Pourtant, malgré les fautes pointées, la condamnation de l’hôpital de Guebwiller n’est pas à la hauteur de sa responsabilité dans la mort de Mme Bousquet. Au total, 170 000€ ont été octroyés à la famille, soit seulement 10% du préjudice estimé à 1 200 000€ par l’avocat.

« Le préjudice économique a été complètement évacué. Selon le juge, rien ne démontre qu’après le décès de mon épouse, j’ai besoin d’aide financière, malgré mes cinq enfants à charge », s’indigne Guillaume. 

Le tribunal a effectivement estimé que puisque Flavy n’occupait pas d’activité professionnelle au moment de son décès et que « la réalité de son projet professionnel » futur ne pouvait être démontrée, son mari et ses enfants ne pouvaient être indemnisés à ce titre. 

Même s’il considère « grotesque » l’écart entre le montant des préjudices demandés et celui finalement octroyé, l’important pour Guillaume, « c’est que la lumière ait été faite sur les causes du décès, et que je puisse dire à mes enfants qu’il y a eu responsabilité, condamnation et réparation ». 

 Il s’est donc satisfait de cette indemnisation « symbolique », et a renoncé à faire appel de la décision. 

« Aucune animosité » envers le corps médical 

Pourtant, des questions plus structurelles perdurent : « est-ce par fatigue, pression, flemme ou manque de lucidité que l’urgentiste n’a pas réalisé la prise de sang ? » s’interroge le père de famille, rappelant que la situation globale de l’hôpital, qui s’était dégradée au fil des ans, pourrait expliquer certains manquements. 

« Tout le système d’analyse sanguine n’était plus sur place, il fallait envoyer les prélèvements à Colmar, ce qui a peut-être rebuté le médecin », explique-t-il. « Toujours est-il que ne pas faire ce geste a coûté la vie à mon épouse ». 

La tragédie vécue par Guillaume ne l’a pour autant pas éloigné du système de soin français, qu’il continue de côtoyer par le biais de sa dernière fille, atteinte d’une malformation cardiaque. 

Ce qui a changé en revanche, c’est sa prudence : « il y a quelque temps, elle a eu un épisode avec de la fièvre et des maux de tête, qui sont deux symptômes de la méningite. A l'hôpital, les médecins ne voulaient pas faire de prise de sang. On a dû insister, parce qu’il n'était pas question qu'on reparte sans »

Malgré la douleur, Guillaume l’assure : il n’éprouve aucune haine contre les médecins et le personnel soignant. Médiatiser cette affaire est simplement une manière de rappeler l’importance du protocole, car « derrière chaque symptôme, il y a une vie »

« Je ne suis pas dans l’animosité. Au contraire, je suis plutôt reconnaissant de ce que le corps médical fait aujourd’hui pour ma fille », confie-t-il enfin. 

https://www.whatsupdoc-lemag.fr/article/le-regulateur-du-samu-sest-entete-sur-un-diagnostic-dangine-le-jeune-psychiatre-etait-en

Aujourd’hui, Guillaume s’est remarié et a commencé une nouvelle vie dans le Sud-ouest, accompagné de Prisca, sa nouvelle femme, et de leurs sept enfants à eux deux. Soucieux de donner « encore plus de sens » à sa pratique professionnelle, cet enseignant de formation a créé en 2018 Pédago’Vie, une entreprise de formation et d’accompagnement pédagogique. 

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