Un ou des syndicalismes médicaux ?

Article Article

Quelles différences en termes de vision, d’engagement, d’investissement et de moyens entre syndicalisme libéral et hospitalier ? Interview croisée des Docteurs Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF et médecin généraliste en Mayenne, et Carole Poupon, présidente de la CPH* et du Syndicat national des biologistes des hôpitaux. 

Un ou des syndicalismes médicaux ?

WUD. Pour vous, c'est quoi être syndicaliste aujourd'hui ? Quelles évolutions par rapport au moment où vous vous êtes engagés ? 

Carole Poupon. Je suis investie depuis plus de 10 ans dans le syndicalisme. Médecin biologiste à la base, j’ai démarré au sein du Syndicat des biologistes hospitaliers. Dans les années 2010, il y a eu une grosse réforme de la biologie hospitalière – qui concernait aussi les libéraux – et ça a été le déclic. Pour moi, être syndicaliste aujourd’hui, c’est être engagée pour la défense de l’ensemble des médecins hospitaliers. La question de l’attractivité de l’hôpital est cruciale. Depuis le mois de septembre, je suis présidente de la CPH*, qui fonctionne en forte association avec Avenir Hospitalier, sous l’étiquette APH*. J’ai vu des évolutions positives ces 10 dernières années, notamment le fait que nous soyons de plus en plus présents lors des réunions au ministère de la Santé. 

Luc Duquesnel. Moi je me suis engagé lorsque j’étais étudiant en médecine dans les années 1980. C’était aussi un syndicalisme de lutte contre des lois et des réformes. Être syndicaliste aujourd’hui, c’est avoir la capacité de mobiliser ceux que l’on représente. À Généralistes-CSMF* [NDLR : UNOF jusqu’en 2016], le temps fort a été le grand mouvement de grève des gardes de 2001-2002. C’est aussi faire des propositions aux partenaires institutionnels, afin d’obtenir des accords qui seront une plus-value pour ceux que l’on représente. Et ensuite faire comprendre qu’un compromis n’est pas forcément une compromission et ça, ce n’est pas simple… C’est enfin réfléchir à la place du médecin généraliste dans le système de demain, qui est en pleine mutation vers l’exercice coordonné. 

__

Si une réunion nationale tombe le lundi et que je dois être présent à Paris,
ma journée de consultations est annulée

__

WUD. Quelles sont les différences de moyens entre syndicalisme libéral et hospitalier ?

CP. Nous sommes en pourparlers avec le Ministère pour obtenir des droits syndicaux supplémentaires, notamment sur la question du temps dédié. On a obtenu pour l’ensemble des intersyndicales 18 postes temps plein dédiés au syndicalisme, au niveau national, alors qu’il nous en faudrait 150 ! À l’hôpital, le droit syndical, même s’il existe, n’est pas forcément respecté pour les médecins. On n’est pas comme les professions non médicales qui, elles, ont des temps et des locaux dédiés. Et nous, à la différence des syndicats libéraux, on a une administration, une gouvernance hospitalière que l’on doit parfois combattre. 

LD. La problématique du financement du syndicalisme libéral reste complexe. Dans le prochain PLFSS, il est proposé un financement national des syndicats de médecins libéraux. Parce qu’aujourd’hui, si certaines organisations professionnelles comme les URPS ont des moyens financiers afin d’indemniser les professionnels pour perte de revenus, ce n’est pas le cas pour les syndicats libéraux !

WUD. Quel investissement vous demande le syndicalisme ? 

CP. Pour ma part, j’ai obtenu une décharge car je suis présidente, mais nous sommes peu nombreux dans ce cas. Officiellement, je devrais pouvoir m’y adonner à temps plein, mais ce n’est pas possible pour le moment car mon poste de biologiste n’est pas remplacé. Je consacre en moyenne 4 demi-journées par semaine au syndicat, sur les 10 que je dois à l’hôpital. Sans compter les nuits, les week-ends… Ça doit être la même chose pour le Dr Duquesnel ! Je n’ai aucune indemnisation. Et j’ai été obligée d’arrêter les gardes et les astreintes parce que je ne suis plus assez impliquée pour pouvoir les assurer. C’est difficile. 

LD. En libéral aussi, l’enjeu est de concilier son activité libérale et syndicale, faite de beaucoup d’imprévus. Je n’ai pas de plage horaire dédiée à l’activité syndicale. Si une réunion nationale tombe le lundi et que je dois être présent à Paris, ma journée de consultation est annulée. Je dois avoir des remplaçants fidèles et des associés compréhensifs. Même si j’ai une indemnisation partielle pour mon travail syndical, cela entraîne une perte de revenus importante que je compense par de nombreuses gardes de régulation la nuit et les week-ends. En moyenne, je travaille 90 heures par semaine, environ la moitié pour le syndicat et la moitié pour la médecine. C’est beaucoup, mais je n’ai pas envie d’arrêter. La période n’a jamais été aussi passionnante, en termes de transformation des organisations professionnelles (CPTS, MSP, liens ville-hôpital, assistants médicaux…). 

__

À l'hôpital, le droit syndical, même s'il existe, n'est pas forcément respecté pour les médecins

__

WUD. Le contexte de crise sanitaire a-t-il rapproché les deux mondes ? Les syndicats mixtes vont-ils se développer, pour mieux répondre aux aspirations des jeunes médecins ? 

CP. Depuis plusieurs années déjà, les médecins biologistes et hospitaliers travaillent main dans la main. On a les mêmes problématiques, on fait des communiqués communs. Et certains syndicats sont mixtes, comme le Syndicat des jeunes médecins biologistes. La crise sanitaire a favorisé les coopérations ville-hôpital, avec par exemple des réunions avec l’ARS réunissant syndicats libéraux et hospitaliers, ce qui a favorisé la gestion de la crise. Au moment de la pénurie de réactifs pour les tests Covid, cela nous a permis de nous dépanner les uns les autres. 

LD. Pour moi, il n’y a pas de fracture idéologique entre les deux mondes. Le lien ville-hôpital est devenu essentiel. Un médecin généraliste ne peut plus tout faire tout seul, c’est fini ce temps-là. Il doit travailler avec l’infirmière, le kiné, le pharmacien, l’hôpital, etc... Et c’est particulièrement vrai pendant cette crise sanitaire. Néanmoins, les négociations se passent de façon totalement différente pour la médecine libérale et hospitalière. C’est obligatoire étant donné les modes de financement et de gouvernance très éloignés. 
Déjà, il faudrait qu’on évite les divisions au niveau libéral. Je vois des syndicats de médecins libéraux issus de la CSMF en plein questionnement identitaire et dans une phase de repli, et cela me préoccupe. 

Les gros dossiers

+ De gros dossiers