La peur de s'aliéner au travail

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« Les mots liberté et libéral se ressemblent. En libéral, on fait ce qu’on veut, parce qu’on est son propre patron ». Dixit Dr Jean-Paul Ortiz, président de la confédération des syndicats médicaux francais, lors d’une interview pour What’s Up Doc.

La peur de s'aliéner au travail

Mais si la notion de liberté est séduisante, son revers n’en est que plus effrayant. Selon le Baromètre des professionnels de la santé¹, les réticences face au libéral sont bien présentes :

11 % des interrogés ont peur d’une charge de travail trop importante et 20 % craignent un empiétement de la vie pro sur la vie personnelle.  Aussi sommes-nous en droit d’interroger : la liberté n’est-elle pas un leurre, largement surplombée par la pression financière ?

 

VITE, DES PATIENTS !!!

N’ayons pas honte de le dire : en libéral, le patient est un client. Pas de patient, pas d’argent !

Pire encore : sans patient, perte d’argent. À une période de crise financière mondiale, pourquoi les médecins ne seraient-ils pas concernés par des problématiques pécuniaires ?

Ceux qui s’offusquent de ce rapport avec l’argent sont des irresponsables. Un cabinet, comme une entreprise, ça tourne ou ça ferme.

Les charges libérales étant ce qu’elles sont, la pression financière est bien réelle. En médecine comme ailleurs, le risque de tomber dans la spirale du type « plus je gagne, plus je paye de charges, et plus je dois travailler » existe bien évidemment. Et là, n’ayons pas peur des mots, c’est bien d’aliénation dont il est question. Or, si les aînés parmi les médecins étaient nombreux à s’en accommoder jusqu’à mourir sur le champ de travail, les plus jeunes générations s’en écartent ostensiblement. La rémunération, fondement de cette aliénation, n’apparaît d’ailleurs plus parmi les motivations principales, avec seulement 13 % des médecins installés qui l’expriment comme un objectif premier.

Selon Karl Marx « le domaine de la liberté commence là où s’arrête le travail déterminé par la nécessité. » Alors, quand on commence à voir des journées de consultations se rallonger pour accueillir plus de patients afin de payer ses charges libérales, on sait qu’on rentre dans le piège de l’aliénation au travail.

Et là, clairement, la majorité des jeunes disent : « non ».

 

ÊTRE SON PROPRE BOURREAU

L’exigence financière est une chose, mais il en est une autre, bien plus perfide et dangereuse : l’exigence personnelle ! Exercer de manière exemplaire peut être un objectif, mais se contraindre à un idéal en est un autre. Et le métier de médecin est pétri d’idéaux ! Des « il faut être patient, compréhensif, ponctuel, ferme, rassurant, disponible (etc.) », il en fleurit tout le long du parcours d’un jeune médecin à tort et à travers. Et dans l’inconscient collectif (pas si inconscient que cela !), l’erreur dite « humaine » ne l’est sûrement pas pour un médecin !

À ces injonctions-là les libéraux sont bien plus sensibles, parce que plus responsables sur un plan individuel. Pour peu qu’il existe un léger déficit d’affirmation de soi, cet idéal tyrannique peut bouffer la vie d’un médecin. Faut-il alors accepter que le médecin parfait n’existe pas, que les patients puissent « patienter », et que les petites imperfections (retards, oublis, fatigue, etc.) ne fassent que trahir l’humanité médicale, que certains protègent dans le sacre de la relation « médecin-malade » ?

 

 

Source:

1. Sondage MACSF, Barom`etre des professionnels de la santé, mars 2013

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