Enjeux d'enfants

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Critique de "Un monde" de Laura Wandel, sortie le 26 janvier 2022

Enjeux d'enfants

Nora fait son entrée en primaire et réalise que son frère aîné, Abel, est victime de la violence des "grands" de l'école. En choisissant de faire confiance aux adultes, elle se retrouve livrée aux enfants. "Un monde" raconte de façon saisissante comment un système ne peut que se maintenir si l'on ne s'attaque pas à ses bases. Le cinéma n'est jamais aussi important que quand il permet de prendre conscience, uniquement grâce à ses procédés, des enjeux d'un problème.

Avec Un monde, Laura Wandel effectue un geste fort, un parti pris de réalisation radical qui, par sa forme, réussit à rendre limpide son propos, voire à le penser sous un nouvel angle. Et pourtant, en choisissant de filmer à hauteur constante d'enfant cette plongée dans un monde totalement nouveau pour la jeune Nora, la cinéaste belge nous fait ressentir avant tout des émotions bien connues, mais qui nous sont probablement devenues étrangères à force de banalisation de ce que la confrontation à un environnement nouveau peut avoir de déstabilisant à un jeune âge. La recréation de cet univers sensoriel, à la fois familier et étrange, permet surtout de comprendre que c'est parce qu'ils se sont bien vite éloignés de ces angoisses originelles, contraints à l'adaptabilité, que les adultes sont irrémédiablement à distance des problématiques entre enfants. Et que c'est avec cette césure, que le film rend frappante, et en la comblant qu'il leur faut composer afin que s'enraye le cycle immuable de la violence.

Parce qu'elle a choisi la solution la plus logique qui s'offrait à elle alors que la gestion du harcèlement en milieu scolaire échappe fort souvent à toute logique et aboutit à la mise à l'écart progressive de la victime, parfois jusqu'à l'exfiltration, Nora va apprendre au prix fort à quel point il est difficile de remettre en cause un système qui, dès qu'il est gangrené par la violence, confronte la victime comme les témoins impuissants à une perspective dichotomique: rester figé dans le statut de bouc-émissaire ou devenir à son tour agresseur, perpétuant un cycle darwinien assez terrifiant et bien éloigné du mythe du bon sauvage encore trop à l'oeuvre dans les visions éducatives.

Ce que montre également très bien Laura Wandel, c'est que ce danger de "point de fixation" psychique, entre soumission et surréaction, chez l'enfant confronté à la violence n'a pas pour unique origine le harcèlement, qui n'en est que la manifestation la plus extrême. En filmant constamment les scènes d'agressions avec une rare science du dosage du hors-champ, et en les superposant jusqu'à l'amalgame à des situations apparemment plus anodines mais tout autant source de tumulte chez Nora, Wandel montre par petites touches que la violence est partout, insidieuse et dès lors si difficile à repérer, héritée des certitudes et de la fermeture des adultes, se nourrissant de normativité. Ces mêmes adultes qui, parce qu'ils n'arrivent pas à être dans une logique de prévention, sont condamnés au coup-par-coup de la gestion des conséquences. La dernière scène du film traduit néanmoins le regard optimiste de cette cinéaste engagée, suggérant qu'au travestissement des émotions que constitue la violence infantile, l'expression authentique de celles-ci, assumée voire encouragée, constitue un recours, une survivance du lien à l'Autre.

 

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