Deuil pour deuil

Article Article

Critique de "Love Life", de Kôji Fukada (sortie le 14 juin 2023). L'équilibre familial de Taeko est plus précaire que sa douce vie rythmée pourrait le laisser supposer : en couple avec Jiro, elle est mal vue de ses beaux-parents en raison d'un enfant né d'une première union. Face à une tempête de bouleversements successifs, elle va néanmoins, au-delà de faire face, redonner une cohérence à ses douleurs et ses choix passés...

Deuil pour deuil

Un portrait intimiste de femme et de famille sur les hasards de la vie, où la tendresse côtoie sans cesse le déchirement. 

Love Life est un film d'une rare délicatesse abordant des événements d'une rare brutalité. Une tranche de vie dévastée narrée sur le mode de la chronique. Un film qui se regarde comme on lirait un roman, avec ses chapitres conclus par des ruptures de ton et de récit toujours saisissantes, une richesse narrative où tout fait sens petit à petit et où, même quand la composition en puzzle du scénario est un peu trop visible, elle garde une subtilité et une vraisemblance propres à l'homéostasie émotionnelle qu'elle réussit à établir.

C'est aussi un film où il est difficile de trop en dire. Cette discrétion que pour une fois l'on s'imposera est au diapason de la pudeur constante avec laquelle le film aborde, en deça du calme apparent, des bouleversements intérieurs d'une rare intensité. Si Kôji Fukada n'atteint pas les sommets auxquels son collègue Ryusuke Hamaguchi accédait dans Drive my car, auquel Love Life fait souvent penser, il adopte une sobriété, un lyrisme contenu qui font écho à la simplicité du microcosme observé. Le mélodrame n'a jamais été aussi voisin de la chronique, le cinéaste parvenant même à instiller des suspenses à la fois cruciaux et anodins dans certains de ses plans - on se demande ainsi fréquemment avec qui Taeko, l'héroïne qui passe progressivement et imperceptiblement, au gré des tours du destin ou des hasards de la vie, du dilemme à la décision, va partager la scène d'intérieur qui est annoncée. 

Dans Love Life, les deuils se télescopent et s’entrechoquent, traumatiques mais jamais pathologiques, ceux causés par les pertes comme par les séparations. Ils sont surtout posés comme inéluctables, expériences qui confrontent à une solitude autant subie que nécessaire, et où le retour à la possibilité d'une altérité ne peut s'envisager sans ce mouvement inaugural, et par des étapes successives plus erratiques que processuelles. En cela, le film constitue une émouvante leçon d'humanité.

 

 

Les gros dossiers

+ De gros dossiers