Chemin de droit

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Critique de "Never Rarely Sometimes Always" de Eliza Hittman (sortie le 19 août 2020).

Chemin de droit
Autumn, jeune adolescente végétant dans une petite bourgade de la campagne américaine, apprend qu'elle est enceinte et choisit d'avorter. Se rendant compte que l'État de Pennsylvanie ne fera rien pour lui faciliter la tâche, elle décide de se rendre à New-York pour être - enfin - prise en charge. "Never Rarely Sometimes Always" est un film à double niveau d'intention où, hélas, chacun finit par jouer contre l'autre.

Pur produit du cinéma indé américain, Never Rarely Sometimes Always est un film à dispositif. Tout, dans la mise en scène, dans le jeu choisi pour les acteurs, semble nous acheminer vers une intention, fort louable au demeurant, une sorte de lecture descriptive et processuelle visant à faire un état des lieux de la difficulté à accéder à l'avortement de nos jours dans un pays dit développé. Comme si la pure description suffisait à asseoir une opinion et mobiliser, chez le spectateur, une émotion qui lui est propre. Processus ancien s'il en est, de Bresson aux frères Dardenne, même si chez ceux-ci l'intention est souvent souterraine, à défricher, là où Eliza Hittman la rend un peu trop évidente... Le film s'approche ainsi souvent du documentaire, et le dépouillement de l'intrigue ainsi que des dialogues concourent à en faire une oeuvre à l'os. L'émotion naît de ce qui est tu, de cette absence d'expression émotionnelle chez les protagonistes, justement.

Sauf que...ce n'est pas qu'un film sur la difficulté à maintenir le droit et l'accessibilité à l'IVG. Il s'agit aussi de l'histoire d'une jeune fille, chez qui l'on pressent, dès la première scène, qu'il existe une problématique de maltraitance, quel qu'en soit le niveau. On n'a même pas besoin de le comprendre, tant cela nous est rappelé, répété, imposé durant tout le film. Chaque figure masculine sur le chemin d'Autumn traîne son lot de saloperie ostensible, et cette systématicité en vient à mettre en avant un deuxième niveau de lecture, celui du chemin de croix, intérieur pour le coup, de cette jeune fille à qui, on le comprend très vite, le rapport sexuel a été autant imposé que la grossesse qui en a résulté. Il ne s'agit donc plus uniquement de décrire la difficulté qu'il y a à avorter. Il s'agit de choisir, et selon nous avec beaucoup trop d'insistance, une circonstance d'IVG bien particulière. Le titre est en cela tout sauf anodin puisqu'il correspond à une seule scène du film, celle qui justement détourne la réalisatrice de son projet initial : peu montrer l'émotion pour mieux la susciter.

Alors...le film finit sur un dernier tiers où ces deux éléments auraient vocation à se compléter, pour en faire une oeuvre aboutie. sauf qu'il n'en est rien. Trop statique, peu évolutif, il finit par stagner dans l'atmosphère glauque qui a été lourdement installée, au risque de s'y complaire. Il n'était pas besoin de nous montrer à quel point les circonstances conduisant à l'IVG peuvent être graves et douloureuses pour nous rappeler l'importance de ce droit. Ce ne sont pas que des jeunes filles livrées à une masculinité toxique qui y ont recours, et chez chacune le chemin pour y accéder devrait être aisé. Eliza Hittman choisit hélas le risque, en surlignant la dimension traumatique existant chez Autumn, d'atténuer, dans une vision moralisante assez anglo-saxonne, la légitimité universelle de ce droit. En lui-même, le portrait de cette jeune fille anesthésiée par les violences successives qui semblent jalonner sa vie est loin d'être inintéressant, il est même pertinent. Il est seulement en inadéquation avec la dimension documentaire, descriptive, de la plus grande partie de l'œuvre, et en atténue, selon nous, la force et la portée...

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