À Castres-Mazamet : un terreau d’expérimentation en e-santé grandeur nature

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ISIS, pour Informatique et Systèmes d'Information pour la Santé, c’est la première école d’ingénieurs spécialisée en applications numériques pour la santé

À Castres-Mazamet : un terreau d’expérimentation en e-santé grandeur nature

Accessibles par des chemins verdoyants, des bâtiments modernes et confortables construits sur le plateau, abritent des locaux conçus sur mesure pour des étudiants de nouvelle génération : ISIS, la première école d’ingénieurs spécialisée dans les outils et applications numériques pour la santé, est directement connectée au monde grâce à un réseau très haut débit. Une école définitivement tournée vers la santé depuis sa création ex nihilo en 2006. Ici on parle tous les jours de systèmes d’information de santé, d’hôpital numérique, de dossiers médicaux informatisés, mais aussi de services de santé en ligne, de télédiagnostic, d’objets ou de textiles connectés, et bien sûr de télésurveillance ainsi que de téléreporting, avec de plus en plus la question du maintien à domicile et des liaisons ville-hôpital. 

« L’idée n’est pas de remplacer le médecin, mais d‘intégrer les nouvelles technologies dans le parcours de soin tout en faisant du patient un acteur de sa santé ». Ludovic Yole a obtenu son diplôme d’ingénieur ISIS en 2013. Après un DUT « Métiers multimédia et Internet », il a choisi d’intégrer cette école de niche suite à des stages à l’hôpital où il avait observé la difficulté des établissements à s’emparer du numérique. Président de la junior entreprise Horus* pendant sa scolarité, il passe son temps à tester et valider des POC (preuves de concepts). À peine sorti, il rejoint Eole consulting, une entreprise de services numériques aujourd’hui intégrée dans Alliance 4U. Il crée dans la foulée la société Hygia autour d’une innovation d’usage : un siège connecté qui prend les constantes du patient. En salles d‘attente, en services d’urgences, le système agrémenté d’une caméra pourrait bientôt se transformer en cabine de téléconsultation. « Cela répond bien au besoin des zones qui ont de moins en moins de médecins ». Ludovic Yole partage son temps entre Hygia où il est product manager et le « Lab Innovation » du groupe Alliance 4U – une unité de veille technologique mais surtout d’écoute des collaborateurs –. « On baigne dans le milieu médical et chacun a des idées pour améliorer un système, ajouter du liant. Alors on "incube" les projets et on les transforme en entreprises. »

Le bon mix santé numérique et applications

Cette dynamique est dans la droite lignée de l’esprit de l’école ISIS, connectée avec son environnement, entre la technopole, les laboratoires Pierre-Fabre, le centre hospitalier intercommunal (CHIC), les EHPAD. « Les ingrédients sont là pour réfléchir aux solutions de e-santé des territoires. Les acteurs se connaissent, cela facilite l’identification des sujets structurants, le montage des projets », souligne Catherine Durand, vice-présidente de la communauté d‘agglomération de Castres-Mazamet et présidente de la technopole. Comme beaucoup, elle est arrivée à Castres grâce à Pierre-Fabre et s’investit aujourd’hui dans son territoire.

« Tous les travaux dirigés à l’école sont appliqués », explique Elyes Lamine, le dynamique nouveau directeur de l’école ISIS. Ingénieur en productique, il s’est rapidement dirigé vers les applications à la santé, un secteur qui a du sens pour lui : « Un patient, en tant qu’usager, est à la fois le produit et le client du système. » Les ingénieurs en formation bénéficient d’un environnement de recherche propice au développement d’idées : une équipe de recherche CHART (Connected Health Research Team) et un lieu d’expérimentation : le Connected Health Lab : Living Lab ouvert aux entreprises innovantes désireuses de tester leurs solutions numériques et outils innovants. 

« Je suis sollicité tous les jours par au moins un porteur de projet métier. Je me régale ! » Jean-Christophe Steinbach, directeur du département d’Information médicale (DIM) et de la direction des Services informatiques (DSI) au CHIC jongle entre ses deux fonctions et des projets multiples. Ici, Cogido financé par l’ARS développe un outil de stimulation et simulation d’expérience de vie pour les personnes âgées sur tablette : un outil d’aide thérapeutique pour le rééducateur. Là, un projet de serious game avec l’école d’infirmiers. Ou encore, une collaboration avec Numamis sur son outil d’accessibilité des sites internet. « J’ai fait des études de médecine, mais j’ai toujours été un peu geek. Quand nous sommes rentrés de La Réunion avec ma famille, mon épouse et moi avons tous les deux trouvé un poste à Castres. Cela tombait plutôt bien. » Le médecin est enchanté de la proximité de l’école ISIS. Chaque année, il propose aux étudiants des travaux pratiques autour du reporting d’activités, histoire de les plonger en direct dans la T2A. Le CHIC est un terrain de stage incontournable pour les élèves ingénieurs. « On avait développé un système de géolocalisation du patient, pour optimiser son parcours à l’intérieur de l’hôpital », se rappelle Ludovic Yole. 

Connecter tous les systèmes

« La limite de ces systèmes, c’est l’urbanisation. Que les systèmes communiquent entre eux et soient cohérents. Trouver des passerelles pour faire circuler l’information. C’est essentiel pour assurer la continuité de la médecine entre la ville et l’hôpital », rappelle Jean-Christophe Steinbach.

Sur la question du médicosocial, objet d’un winter camp organisé début février, pas question de livrer aux machines le contrôle de tout, mais « une volonté de libérer les personnes de tâches contraignantes pour leur donner plus de temps humain à consacrer aux patients », explique Piera Clément, directrice de l’association AGIR (Association gérontologique interrégionale) qui gère deux établissements pour personnes âgées. Et les projets ne manquent pas : développement du « JadeBOT », assistant conversationnel qui accompagne les équipes de terrain dans leurs tâches, diminue leur stress et permet un temps plus long avec les résidents : moins de turn-over, une meilleure qualité des soins ; participation au projet Di@pason (article 51), avec un parcours de soins de biologie à distance pour des patients sous antivitamine K ; évaluation de la perte d’autonomie dans un projet Cipad en collaboration avec ISIS : une canne connectée qui permet d'évaluer la marche de la personne à l'intérieur comme à l’extérieur de l'établissement ; des ateliers sur la fragilité avec des interventions dans des communes rurales auprès de personnes âgées isolées en collaboration avec le Dr Cufi du CHIC, le CPTS du Grand-Gaillaicois et Berger-Levrault ; utilisation d’un logiciel de soins en lien avec la médecine de ville, d’un logiciel de vie sociale ; expérimentation de protections connectées pour éviter les réveils nocturnes et individualiser l’accompagnement. AGIR a récemment répondu aux côtés d’ISIS et de la technopole à un appel à projets européen, afin d'être référencé Centre d'excellence en santé translationnelle et du bien-vieillir. 

Habituellement, les universités de l’e-santé à Castres se déroulent en juin. Cela fait 15 ans que cela dure, depuis que la métropole a décidé de creuser ce sillon et de planter le drapeau de la e-santé à Castres-Mazamet. Cette année, ce sera les 28 et 29 juin. À vos agendas ! 

Histoire de ce cap sur la santé numérique

Récit par Jean-Luc Chambault, ancien DGS de la collectivité et directeur du Syndicat mixte pour la recherche et l’enseignement supérieur du Tarn, et Catherine Durand, présidente de la technopole, vice-présidente de la communauté d’agglomération de Castres-Mazamet.

À Castres et Mazamet dans le Tarn, 30 % des emplois se sont évaporés entre 1985 et 1995 avec la délocalisation de l’industrie textile. Il y a 30 ans, le bassin bénéficiait d’un réel dynamisme industriel. Et puis tout a disparu. Il n’est resté sur le Causse qu’une bergerie, quelques moutons et Pierre-Fabre, groupe qui lui se développait. Sa présence a été une chance et un handicap à la fois : vu de Paris, tout allait bien pour nous. Alors que sur place, il y avait un grand désarroi. Mais les acteurs publics et privés se sont retroussé les manches pour construire des projets à partir des forces en présence : mécanique, chimie, santé et bientôt numérique. Les briques se sont assemblées : le balbutiement d’internet, un besoin d’échanges de la part de Pierre-Fabre. Originaire de Castres, pas question pour Pierre-Fabre d’en bouger mais pouvoir communiquer avec le reste du monde est vite devenu essentiel. C’est ainsi qu’avec la naissance de l’intercommunalité est née une boucle très haut débit : une bonne idée structurante. À l’époque, c’est le premier réseau métropolitain de fibre optique installé en France. Parlant de réseaux, le territoire bénéficie d’une situation stratégique du point de vue électrique. Un point de jonction entre l’électricité fabriquée dans les Pyrénées et celle en provenance de la vallée du Rhône : une garantie de sécurité pour les systèmes, qui attire aujourd’hui des acteurs de la cybersécurité. C’est au milieu de ces réseaux humains, électriques et numériques que l’hôpital intercommunal est sorti de terre, créé dès le départ comme un hôpital du futur. Et tout s’est "concaténé" sur le site : la technopole, l’aéroport, des entreprises technologiques, des datacenters. L’école d’ingénieurs ISIS en santé numérique est née comme une étape évidente, au cœur de la réflexion sur le développement économique, créée comme un laboratoire expérimental à ciel ouvert.

 

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Notes

*Horus HealthCare Systems : la Junior-Initiative de l’école d’ingénieurs ISIS (Informatique et Systèmes d’Information pour la Santé). Ses intervenants bénéficient des connaissances de l’école dans un double domaine d’expertise : la e-santé et le numérique. Ils interviennent directement sur des projets de professionnels, comme de réels consultants travaillant pour un cabinet de conseil.

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