Le péril jeûne

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Critique de "Club Zero", de Jessica Hausner (sortie le 27 septembre 2023). Un lycée huppé accueille en son sein Miss Novak, jeune nutritionniste en vogue chargée d'optimiser l'hygiène alimentaire de l'élite de demain. Sa technique de l'alimentation consciente va les conduire à repousser les limites de la maîtrise de soi.

Le péril jeûne

Jessica Hausner continue de creuser, avec cette comédie grinçante et acide n'épargnant personne, le sillon entamé avec son film précédent.

On avait découvert et laissé Jessica Hausner il y a quatre ans avec Little Joeenthousiasmante comédie dystopique imaginant une humanité peu à peu lestée de son encombrante émotionnalité. C'est un peu sur la même trame qu'elle brode son nouveau film, pour lequel une large partie de notre critique d'alors pourrait lui être appliquée, dans un acte de recyclage que ne renierait pas le groupe d'ados étranges se retrouvant embrigadés par l'énigmatique Miss Novak, à laquelle Mia Wasikowska prête ses traits d'éternel bambin, ne rendant que plus troublante son emprise sur son entourage.

On retrouve ainsi la capacité de la réalisatrice autrichienne à saisir les travers de notre société, les paradoxes que celle-ci voudrait concilier, ainsi qu'à étirer une idée jusqu'à un extrême où tragique et absurde finissent par se confondre. Comme elle l'avait fait dans Lourdes, elle adresse un pied-de-nez au concept de foi qui, s'il échappe à présent aux religions traditionnelles patriarcales, fait son nid dans la cervelle de jeunes ados voulant agir leur ardeur revendicatrice à faible coût, héritiers inconscients de leurs capitalistes de parents. Il suffirait de croire pour être, voire de croire pour, littéralement, vivre. Non plus croire en quelque chose, mais se croire soi-même. Je crois que je suis, donc je suis : l'aboutissement d'un fantasme individualiste à l'heure d'une mondialisation ayant abouti à l'exact inverse de ce qu'elle laissait augurer, et qu'une néo-morale en guise de bonne conscience tenterait de racheter. 

Adultes, ados, complotistes post-Covid, tout le monde en prend un peu pour son grade dans cette satire corrosive d'une société de l'abondance aboutissant à un dégoût où, au sens propre du terme, chacun est renvoyé à son propre vomi - à noter la prestation assez foldingue d'Elsa Zylberstein en anorexique couture. Le trait est assez grossier, la métaphore vue et revue de l'anorexie parfois gênante, la noirceur quasi-réactionnaire, mais le tout est sauvé par un humour à froid, une ambiguïté malicieuse, et un sens du cadrage assez étourdissant, chaque scène constituant une petite oeuvre d'art en soi. De par sa constance et sa capacité à créer des univers et des esthétiques jusqu'à l'obsessionnalité, Jessica Hausner est une sorte de Wes Anderson. En plus moral. Et plus pervers.

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