Feux interdits

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Critique de "L'Innocence", de Hirozaku Kore-Eda (sortie le 27 décembre 2023). Saori élève seule son fils Minato depuis que son mari est décédé. Alors que le comportement de Minato l'inquiète de plus en plus, elle suspecte son professeur d'être le responsable de son changement récent et cherche à le confronter. Mais elle se heurte à une équipe de direction mutique qui cherche uniquement à ne pas faire de vagues...

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Kore-Eda réalise un superbe film sur la destructivité de la honte et des secrets à l'aide d'une histoire qui dévoile sa complexité et ses richesses par couches successives pour mieux atteindre la luminosité de son propos. 

Captivés et émus, c'est ainsi que l'orfèvre du cinéma japonais nous maintient pendant toute la durée d'un film dont il sait entretenir l'opacité, se plaisant à jeter les maints éléments du puzzle que constitue son intrigue, tels des éclats coupants, sur un tempo pourtant constamment indolent. A l'image de cette mère et de son fils qui regardent brûler, du calme de leur balcon, un immeuble qui, bien que voisin, semble extrêmement lointain. Tout l'art de la mise en scène et de la narration sera ainsi de nous rapprocher insensiblement du coeur de ce brasier, de ce qui semble à la fois un danger et une issue. Issue à cette intrigue presque asphyxiée de ses multiples données, mais l'intérêt d'un puzzle ne croît-il pas avec le nombre de ses pièces?

Les trois segments de ce film reposant sur un principe de narration bien connu - l'effet Rashômon - ont pour originalité d'être à la fois singulièrement différents - chacun pourrait exister pour lui-même et contient à lui seul tout un monde, celui de son personnage principal - et reliés par de petites touches souterraines. Se côtoient ainsi des individus aux prises avec un secret, une norme, une injonction et qui, en raison de traditions étouffantes jusqu'à l'absurde, ne se rencontrent jamais réellement malgré le désir évident d'y parvenir. 

Il faudra la magie et les mystères de l'enfance pour qu'entrent enfin en résonance ces souffrances, et là où l'habileté scénaristique aurait pu artificialiser les enjeux de ce film au titre exagérément dogmatique, Kore-Eda lui offre un merveilleux écrin poétique, une parfaite symbiose entre néoréalisme italien et féérie à la Miyazaki. A contrario des corruptions sociétales, le réalisateur magnifie la pureté de l'enfance, celle d'une croyance fondatrice qui ne devient magique que parce que des enjeux extérieurs la dénaturent. Sans trop révéler ce dont il s'agit, et qui est à la fois assez évident et adroitement amené - et surtout superbement résolu par l'intermédiaire d'une scène subjugante d'émotion et assez inoubliable -, l'on peut dire que la délicatesse et la puissance du message porté par le réalisateur viennent effacer le dolorisme simplificateur et aguicheur de CloseS'il y a bien un film qu'on aurait souhaité voir porté aux nues cette année à Cannes, c'est L'Innocence.

 

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