C'est assez inhabituel pour le souligner: Carlos Vermut est de ces réalisateurs dont le deuxième film s'avère bien meilleur que le premier. Non qu'il ait fondamentalement changé: La Nina de Fuego et ce Quien te cantara ont en commun une mise en scène sophistiquée, un scénario complexe tenu de bout en bout et un goût pour la violence parfois outrancière et gratuite. Mais il a appris à modérer ses effets, à resserrer son intrigue, à la circonscrire dans une atmosphère qu'il prend plaisir à installer, développer, ramifier...
L'univers visuel et sonore de Lila Cassen, personnage-mythe que cette chanteuse n'arrive plus à incarner, a été admirablement construit, nous permettant de nous représenter précisément celle qui semble devenue un fantôme. Ou qui l'a toujours été? Car, en jouant de façon virtuose et réjouissante sur de multiples références, Vermut nous alerte d'emblée sur les artfices voire les trucages sur lesquels repose l'entreprise.
Tout le sujet du film, et l'intrigue à tiroirs qui se déroule peu à peu, repose sur le principe que Lila est un personnage à part entière, une entité autonome, à la fois fantôme et fantasme, qui condamne sa créatrice - l'interprète - et son imitatrice - l'admiratrice sans limites - à la poursuivre sans l'atteindre. On s'en doute, l'amnésie de la chanteuse est bien peu neurologique. Symptôme dissociatif ou échappatoire volontaire? Elle témoigne en tout cas d'un traumatisme que l'on se gardera de révéler, Vermut attachant une grande importance à ne laisser aucune zone d'ombre à son récit - cette volonté de contrôle est cependant moins étouffante, comme s'il s'était lui-même laissé envoûter par son histoire.
Destin inversé de deux femmes confrontées au sentiment de vide mais aussi scénario implacablement répétitif, Quien te cantara est une invitation sans retenue au mystère, celui d'une musique qui semble régir les constructions comme les déconstructions identitaires, au rythme d'une mer qui hante la pellicule du premier au dernier plan.