Peut-on soigner l’anorexie par l’activité physique adaptée ?

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L’anorexie mentale, parfois appelée anorexie par le grand public, est un trouble du comportement alimentaire qui apparaît le plus souvent à l’adolescence, avec une prévalence de 1 à 4 % chez les femmes et de 0,3 % chez les hommes. Les principaux symptômes sont une privation alimentaire stricte et volontaire sur une longue période, conduisant à une perte de poids extrême et potentiellement dangereuse pour la santé, ainsi qu’une perception déformée de son corps, amenant souvent les personnes touchées à se voir en surpoids.

Peut-on soigner l’anorexie par l’activité physique adaptée ?

© IStock

Un risque de complications et de suicides

L’anorexie mentale est considérée comme une maladie psychiatrique particulièrement mortelle. Selon les sources, 5 à 9 % des personnes malades décèdent, du fait principalement des complications somatiques ou suite à un suicide.

En effet, outre ses principaux symptômes, une série de troubles psychologiques vient alourdir le tableau clinique. En premier lieu, on trouve la dépression, qui entraîne l’émergence de pensées négatives, le retrait social et la perte d’intérêt pour les activités autrefois appréciées.

De plus, des troubles anxieux peuvent se développer, générant des inquiétudes excessives concernant la nourriture, le poids et l’image corporelle. Les troubles de l’humeur et les fluctuations émotionnelles sont également fréquents, et peuvent altérer davantage les interactions sociales et la perception de soi. Enfin, les problèmes de sommeil sont souvent présents, et se manifestent principalement par des nuits agitées ou des insomnies.

L’anorexie mentale a également des conséquences importantes sur le plan physique et physiologique. Celles-ci sont très souvent liées à la perte de poids et à la dénutrition, et peuvent se caractériser par une diminution de la masse et de la capacité musculaire, une fragilisation des os, des troubles cardiaques, des carences multiples, une perte des cheveux, des problèmes rénaux et intestinaux, etc.

Quand ils deviennent chroniques, tous ces troubles entraînent un appauvrissement de la vie relationnelle et affective, avec à un retentissement sur la vie scolaire ou professionnelle. De plus en plus considérée comme une pathologie grave de l’adolescence, l’anorexie mentale constitue un enjeu de santé publique majeur en France, qui nécessite de nouvelles stratégies thérapeutiques plus efficaces.

L’activité physique adaptée pour aider à guérir

Ainsi, afin de traiter les principaux symptômes de la maladie et de prévenir ou réduire au mieux les différents troubles associés, il est nécessaire de proposer une prise en charge précoce et pluridisciplinaire. Si la pratique d’activité physique a longtemps été proscrite, en particulier dans les cas de dénutrition avancée ou chez des patientes présentant une hyperactivité physique voire une dépendance à l’activité physique, elle peut aussi contribuer à la guérison de l’anorexie, à partir du moment où elle est adaptée aux caractéristiques des patientes.

On parle alors d’activité physique adaptée (APA), qui peut être définie comme un moyen permettant la mise en mouvement de personnes qui, en raison de leur état physique, mental ou social, ne peuvent pratiquer une activité physique dans des conditions habituelles. La pratique d’une activité physique adaptée nécessite, au préalable, de consulter un médecin.

Dans le cas de l’anorexie mentale, l’APA peut constituer une réponse adaptée aux besoins spécifiques des patientes, à la fois physiques et émotionnels, et jouer un rôle crucial dans le processus de guérison. Cette thérapie non médicamenteuse doit se dérouler dans un cadre sécurisé, et être supervisée par un professionnel formé en APA. Cela évite ainsi les pièges du surentraînement tout en ciblant les objectifs thérapeutiques.

Des études montrent une diminution des symptômes

Différents travaux de recherche clinique ont démontré le rôle majeur de l’activité physique adaptée dans le traitement de l’anorexie. Il a notamment été montré qu’une pratique régulière d’APA sur une durée de 8 à 16 semaines pouvait induire une diminution des symptômes principaux de l’anorexie, ainsi qu’une amélioration de la santé physique et mentale. De plus, les résultats ont permis d’observer que selon la nature des activités physiques pratiquées, des améliorations s’observent plus particulièrement sur les dimensions ciblées par les exercices effectués.

Ainsi, les programmes intégrant exclusivement des exercices en endurance permettent d’améliorer principalement la capacité cardiorespiratoire des patientes, même s’ils sont susceptibles d’entraîner une dépendance à l’activité physique. Les programmes centrés sur le renforcement musculaire contribuent davantage à une amélioration de la force et de la masse musculaire.

Les pratiques de bien-être telles que le yoga, le tai-chi ou le Pilates, ont un impact plus important sur la réduction des symptômes de la maladie, des préoccupations corporelles et des troubles anxiodépressifs, et permettent de restaurer un rapport plus sain à l’activité physique (c’est-à-dire une baisse de la dépendance à l’exercice physique). Enfin, il a été montré que les programmes d’APA combinant des exercices mixtes, semblent être les plus favorables à une reprise du poids.

Aucune recommandation officielle

Malgré tous ces bienfaits dans le traitement de l’anorexie mentale, dans les pratiques cliniques de terrain, l’activité physique adaptée n’est pas prescrite de manière systématique, et aucune recommandation nationale ou internationale n’existe à ce jour. Néanmoins, l’APA devient de plus en plus reconnue et pratiquée dans les centres de soins. Malgré son retard par rapport à d’autres pays comme les États-Unis, le Canada ou l’Australie, la France compte aujourd’hui quelques centres hospitaliers qui intègrent l’APA dans leur protocole de soin courant, tels que le CHU Paul-Brousse à Villejuif, le CHU de Nantes et l’hôpital Saint Vincent de Paul à Lille.

Ce manque de recommandation et d’intégration de l’APA au projet thérapeutique du patient est principalement lié au caractère novateur de la recherche dans ce domaine. En effet, même si quelques études ont été publiées au début des années 2000, ce n’est que depuis les 15 dernières années que des protocoles expérimentaux sont menés de façon plus fréquente.

Un protocole innovant lancé au CHU de Caen

Ainsi, aujourd’hui, on commence à considérer le réel potentiel de l’activité physique adaptée dans le traitement de l’anorexie mentale. De façon récente, des protocoles innovants laissent entrevoir des résultats prometteurs. C’est notamment le cas de l’étude « APAREXIM’Pilot » réalisée auprès de jeunes patientes atteintes d’anorexie mentale, suivies au service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent du CHU de Caen en Normandie, que nous menons en tant qu’enseignants-chercheurs au laboratoire COMETE (UMR-S 1075 Inserm/UNICAEN – Mobilités : Vieillissement, Pathologies, Santé) de l’Université de Caen Normandie. Cette étude pilote, intitulée « APAREXIM’Pilot », est soutenue par le Pr. Fabian Guénolé, chef de ce service ainsi que les Dr. Delphine Nimal et Marine Hamon-Marie, exerçant au sein de ce service.

Cette étroite collaboration entre chercheurs et cliniciens a permis la mise en place de ce protocole novateur auprès de 30 patientes mineures, visant à évaluer les effets à court et moyen terme d’un programme d’APA supervisé en visioconférence sur les symptômes principaux de l’anorexie mentale, ainsi que sur la santé mentale, la santé physique et le sommeil.

Un programme supervisé par visioconférence

L’intérêt de la visioconférence est de promouvoir une meilleure accessibilité aux soins et une continuité thérapeutique plus efficace pour le plus grand nombre de patientes, quelles que soient leur localisation géographique et leurs conditions socio-économiques, et ainsi réduire les inégalités sociales de santé. Le programme est dispensé sur une durée de 8 semaines, à raison de 2 séances hebdomadaires d’une heure, composées d’exercices de renforcement musculaire et de yoga, d’intensité légère à modérée.

Les résultats préliminaires concernant les 15 premières participantes de cette étude sont positifs. Les bénéfices principaux obtenus par les patientes à l’issue du programme d’APA sont une amélioration de la force et de l’endurance musculaire ainsi qu’une amélioration de l’efficacité du sommeil, qui se traduit par un sommeil plus stable, plus réparateur et moins fragmenté par les réveils nocturnes.

Ces résultats préliminaires seront prochainement présentés lors de congrès nationaux et internationaux et feront l’objet de publications scientifiques, afin de mettre en avant la faisabilité et l’efficacité d’un programme d’APA en distanciel dans le traitement de l’anorexie mentale. De plus, cette étude pilote devrait permettre d’établir des recommandations de bonnes pratiques permettant d’innover et de diversifier l’offre de soin dédiée à l’anorexie mentale.

 

Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 6 au 16 octobre 2023 en métropole et du 10 au 27 novembre 2023 en outre-mer et à l’international), et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition porte sur la thématique « sport et science ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.The Conversation

Marc Toutain, Doctorant en Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives - Laboratoire COMETE UMR-S 1075 INSERM/Unicaen, Université de Caen Normandie; Antoine Gauthier, Professeur des Universités, UMR UNICAEN/INSERM U1075 - COMETE "Mobiltés : Vieillissement, Pathologie, Santé", Université de Caen Normandie et Pascale Leconte, Maître de Conférence, Université de Caen Normandie
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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