Mères parallèles

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Critique de « La Nouvelle Femme », de Léa Todorov (sortie le 13 mars 2024). Début du XXe siècle, préhistoire du féminisme. Le destin d’une jeune cocotte parisienne, mère honteuse d’une enfant cachée, croise à Rome celui de Maria Montessori, médecin pédagogue qui croit en un ingrédient miracle dans l’éducation des enfants : la maternité. 

Mères parallèles

Un film sensible et rigoureux qui, par ses arrangements avec l’Histoire officielle, tisse une mythologie souterraine entre les êtres rejetés et déclassés, sous l'égide de la maternité. C'est moins pompeux et caricatural que ça en a l'air.

Léa Todorov est issue du documentaire. Cela ne se voit pas au premier abord, tant elle se plaît à appliquer un classicisme suranné voire désuet à la reconstitution, assez remarquable par ailleurs, du cadre - discrètement mais sublimement romain - de son épopée féministe. Il y a également une volonté de s'affranchir de la véracité biographique de l'histoire de Maria Montessori - l'une des premières femmes médecins en Italie, et quelle femme - qui peut surprendre. Mais c'est justement ce qui constitue la force du film, de vouloir entrer dans le monument de l'Histoire par la porte dérobée, celle qui donne à voir ceux que l'on veut à tout prix cacher.

Lili d'Alengy, interprétée par une très émouvante Leïla Bekhti, a mis au monde une enfant "différente". Pour cela, elle verra son mariage annulé. Pour survivre, elle abandonnera son enfant à ses ex-beaux-parents. Ceux-ci morts, l'enfant lui est rendue sans autre forme de procès. Devenue courtisane, seule issue à ses yeux et moyen de revanche sur la société, elle doit à nouveau "confier" l'enfant. La violence de cette dissimulation, de cette exclusion, passe par des images simples et terribles : une couverture placée sur la tête de l'enfant, Tina ; mais aussi la façon dont elle est exclue du cadre. 

L'enfant va pourtant retrouver sa place, et quelle place, devant la caméra comme dans le coeur de cette mère. Par l'intervention de Maria Montessori, dont la pédagogie va s'appliquer à montrer à tous son humanité effacée sous une prétendue idiotie. C'est dans ce parcours d'initiation que le talent documentaire de Todorov s'épanouit pleinement. En filmant des actions simples et surtout des silhouettes, des visages, d'une façon frontale et muette, dans cet institut pour jeunes "déficients", elle opère la visibilisation de façon concrète et pourtant poétique. Tina et les autres prennent d'assaut un monde qui leur était ôté.

C'est un peu le cas des deux femmes qu'évoque le film dans son versant romanesque. Deux héroïnes aux destins parallèles, et qui vont expérimenter leur maternité de façon radicalement opposée, et finalement tout aussi forte, tout en assumant leur place au sein d'une société qui se porte très bien sans elles. C'est indubitablement l'union de destinée de ces personnes déclassées, à qui l'on ne concède même pas un statut, voire une existence, mais aussi la façon dont, en aidant les plus vulnérables, on aide la société toute entière, que parvient à célébrer le film. Avec sa force toute discrète, sa réalisation qui se fait compassée pour mieux rendre visible la lumière qui en sourd, et la violence de cette lumière.

 

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