Mah-jong theory

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Critique de "Le théorème de Marguerite", de Anna Nauvion (sortie le 1er novembre 2023). Marguerite est sur le point d'achever sa thèse en mathématiques. Mais le fait que son directeur délaisse ses travaux au profit d'un étudiant qu'il a débauché, tout en la pressant de présenter ses résultats au plus tôt, la conduit à réaliser qu'une erreur de raisonnement anéantit toute sa démonstration. Pour cette perfectionniste qui a tout consacré à sa matière, c'est impardonnable. En abandonnant ses études, elle va commencer à vivre...

Mah-jong theory

Reprenant des formules qui ont fait leurs preuves et efficace comme une démonstration, ce beau film se démarque par le regard constamment positif porté sur la jeunesse ainsi que sur l'atypicité. 

C'est une histoire classique : le héros à qui tout semble réussir mais qui, parce qu'il en oublie de vivre, sera mis à l'épreuve afin que lui soit offerte l'occasion de se racheter. Non pas changer, mais mieux : rester fidèle à soi tout en élargissant sa vision et en s'ouvrant à l'autre. C'est une success story à l'américaine, c'est-à-dire morale, c'est une recette connue, une équation sans inconnue, dont la finitude serait aussi la limite. Le héros est atypique, probablement autiste, centré sur son intérêt obsédant pour les maths. C'est Rain Man qui tombe et se relève comme Rocky. Ce sont des trahisons et des histoires d'amour, et le génie qui dépasse tout et remet tout le monde d'accord. 

C'est aussi une histoire actuelle, parce que le héros est une héroïne, parce qu'elle évolue dans un univers où la femme est singulièrement invisibilisée, démontrant ainsi qu'au sein du raisonnement le plus pur peut se tapir le conditionnement le plus éculé. C'est tellement actuel que cela aurait tendance à rendre le propos encore plus classique. 

Le théorème de Marguerite aurait pu être tout cela, et se contenter de rendre cela intéressant eût déjà été faire preuve de talent. Pourtant, Anna Nauvion transcende la facilité de son sujet, très écrit, en se raccrochant à la foi, celle de son personnage, celle en son personnage. C'est bien par Marguerite que le film se dépasse pour devenir unique, par la focalisation sur ce beau caractère qui semble prendre plaisir à découvrir ses paradoxes et à les explorer, et qui, en élargissant peu à peu le champ de ses obsessions, s'ouvre à sa façon. L'illustration parfaite de ce fonctionnement réside dans les scènes réjouissantes où elle découvre puis maîtrise le mah-jong. Les liens qu’elle lie avec son entourage sont nécessairement complexes sans qu’aucun personnage ne sombre dans la toxicité pure. Comme si, à son contact, l’humanité ne pouvait que se bonifier.


C'est cela qui est le plus subtil dans le film, et qui lui permet d'atteindre ce niveau : tous ses aspects sont abordés sous un angle positif, même les plus sombres - l'on songe à cette rechute dans un perfectionnisme mathématique morbide, cette mécanique envahissante n'étant jamais remise en question en tant que telle, tant elle constitue le moteur, le rapport à la réalité, de celle à qui l'on pourrait accoler tant d'étiquettes.

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