Love will tear us appart’

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Critique de « Sans jamais nous connaître », de Andrew Haigh (sortie le 14 février 2024)


Dans un Londres post-Covid, où règne l’ultra-moderne solitude jusque dans les immeubles à peine sortis de terre et leurs appartements désespérément inoccupés, Adam fait la connaissance de Harry. Cette rencontre, couplée à l’écriture d’un scénario, l’entraîne à se reconfronter à l’événement fondateur de son passé, la mort de ses parents quand il avait 12 ans. 

Love will tear us appart’

Un film hanté par la solitude, les fantômes que l’on porte, leur pouvoir et celui qu’ils nous demandent d’assumer. Un beau film d’amour conjugué au fantastique.

Tiré d’un roman japonais, Sans jamais nous connaître en conserve la délicatesse et le goût pour les fantômes mais est avant tout un film complètement anglais, qui joue sur les codes jusqu’au fétichisme, idem pour la romance gay qu’il raconte, le réal’ convoquant un univers qui lui est tout à la fois propre et exagérément commun, nostalgique et en vogue.

Le film joue constamment sur un paradoxe esthétique et de dispositif, naviguant entre téléfilm de la BBC et romance ultra léchée alliant un besoin très actuel, presque naïf, de sexualité brute et de tendresse infinie. En résulte un sentiment hybride. Non pas mitigé, tant cet adjectif évoque la tiédeur, alors que le film sait jouer adroitement sur une alternance de chaleur et de glacis émotionnels. Mais une impression bizarre malgré tout, le constat d’un film extrêmement fabriqué, d’où l’authenticité, souvent déchirante, jaillit par à-coups. La conclusion, puisque Sans jamais nous connaître fait partie de ces films à la mode dont le retournement final semble être un impératif, en est le parfait exemple. Nous ne la dévoilerons pas, tout juste dirons-nous qu’elle n’est en rien originale et renvoie à de nombreux films déjà existants sur le sujet. Et pourtant elle est la parfaite illustration de sa capacité à transfigurer son sujet, nous renvoyant au cheminement psychologique complexe de son héros par la seule force du jeu de son acteur, et aussi d’une certaine façon, terriblement convaincante, de filmer à la fois la solitude et l’intimité.

Ce cheminement complexe, c’est celui d’un homme mûr qui, pour avancer, doit se reconfronter à l’enfant qu’il a été, et qui a enfoui en lui tout un monde intérieur, figé et sacralisé. Un mausolée pourtant oublié, et que sa mémoire va choisir de faire ressurgir de façon extrêmement vivante, mais dont l’idéalisation signe déjà la désincarnation. On ne saura ainsi jamais réellement si Adam « apprend » quelque chose de son expérience, de sa seconde chance. S’il en ressort émancipé, restauré dans sa conviction d’avoir été aimé et investi, ou bien si, berné par une illusion, son scénario intime n’a finalement pas fait que se rejouer, en pire. Cette incertitude, terriblement émouvante et qui pour le coup parlera à tous, constitue le doux venin mélancolique du film.

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