Les décès dus aux infections fongiques ont doublé en dix ans

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Il y a onze ans, mes collègues et moi-même avions estimé qu’environ 2 millions de personnes dans le monde mouraient chaque année des suites d’infections fongiques. Mes nouvelles estimations révèlent que ce nombre a presque doublé, puisque qu’il serait aujourd’hui d’environ 3,8 millions.

Les décès dus aux infections fongiques ont doublé en dix ans

© Midjourney x What's up Doc

Pour mettre ce résultat en perspective, soulignons que cela représente environ 6,8 % du total des décès mondiaux. On considère généralement que les maladies coronariennes sont responsables d’environ 16 % des décès qui surviennent annuellement dans le monde (55,4 millions de décès en 2019 selon l’Organisation mondiale de la Santé, suivies de près par les accidents vasculaires cérébraux à 11 %. Les maladies pulmonaires liées au tabac (MPOC), qui comprennent la bronchite chronique et la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO, autrefois appelée emphysème) représentent quant à elles 6 % des décès au total. Or, sur ces 3 228 000 décès, un tiers surviendrait en raison d’infections fongiques.

Selon d’autres statistiques mondiales, le nombre de décès dus à la pneumonie (dont certaines sont d’origine fongiques) serait de 2 600 000, tandis que la tuberculose serait responsable de 1 208 000 morts par an (on considère qu’environ 340 000 de ces décès seraient probablement dus à une maladie fongique non diagnostiquée dans ce contexte de tuberculose).

Pour parvenir à cet nouvelles estimations, publiées dans The Lancet_Infectious Diseases, j’ai évalué la proportion de cas fongiques réellement diagnostiqués et traités, et ceux qui passent inaperçus.

Aspergillus, Candida, Histoplasma : des dangers mortels

Certains champignons du genre Aspergillus font partie des champignons les plus dangereux pour la santé humaine. C’est notamment le cas d’Aspergillus fumigatus et Aspergillus flavus, qui provoquent des infections des poumons. Les personnes déjà victimes de certaines affections pulmonaires telles que l’asthme, la tuberculose ou le cancer du poumon, y sont particulièrement sensibles, tout comme les patients souffrant de leucémie, ceux qui ont reçu une greffe d’organe ou ceux qui sont hospitalisés en services de soins intensifs.

Or, un grand nombre de ces personnes décèdent parce que leur médecin ne réalise pas qu’elles sont atteintes d’une infection fongique, ou s’en aperçoivent trop tard. Il faut savoir que même si les méthodes de diagnostics des maladies fongiques ont considérablement progressé au cours des dix à quinze dernières années, l’accès à ces tests et leur utilisation effective demeurent limités, et pas seulement dans les pays à faible revenu.

Ainsi, si l’Afrique du Sud dispose d’une offre de diagnostic efficace pour dépister la méningite fongique (méningite à cryptocoque ou cryptococcose neuro-méningée) et les infections du sang par des champignons du genre Candida, ce pays n’a pas les moyens de diagnostiquer correctement les infections causées par un autre champignon très courant, Aspergillus. Cette carence en service diagnostique est responsable de nombreux décès qui pourraient être évités : un dépistage rapide des infections graves à Aspergillus, idéalement dans les 48 heures, pourrait sauver chaque année des millions de vies.

À ce sujet, la lenteur des tests diagnostiques – quand ils sont disponibles… – constitue un autre problème : elle est en effet responsable de nombreux décès. En outre, il faut savoir que les tests se basant sur la mise en culture des champignons ne sont capables d’identifier qu’environ un tiers des infections.

Par ailleurs, on manque de médicaments antifongiques permettant de traiter efficacement les infections causées par les champignons. Plus grave encore : à l’image de ce qui se passe dans la lutte contre les bactéries, l’émergence de souches de champignons résistants aux antifongiques constitue un problème de plus en plus préoccupant. Celui-ci est encore accru par la pulvérisation de certains types de fongicides sur les cultures, une pratique qui augmente considérablement les taux de résistance vis-à-vis d’une famille de médicaments antifongiques appelés azoles.

Les champignons du genre Candida sont eux aussi particulièrement problématiques. En temps normal, ces champignons se trouvent notamment dans le microbiote intestinal, mais dans certains cas (maladie), ils peuvent traverser la paroi des intestins et passer dans le sang, causant des septicémies. Ils sont également à l’origine de problèmes chez les personnes diabétiques, et peuvent engendrer des dysfonctionnements de la fonction rénale (insuffisance rénale). Il arrive que des infections à Candida surviennent après des interventions chirurgicales ou des blessures.

Chaque année, plus de 1,5 million de personnes dans le monde sont victimes d’une infection à Candida qui met leur vie en danger. Près d’un million en décède. Or, à l’heure actuelle, les tests disponibles (consistant en des mises en culture à partir d’échantillons sanguins) ne sont capables de détecter qu’environ 40 % des infections à Candida. Il est donc essentiel de mettre au point des tests plus efficaces de toute urgence.

Soulignons qu’environ 50 % des quelque 600 000 décès annuels dus au sida sont attribuables à des infections fongiques. L’Organisation mondiale de la Santé et les Centers for Disease Control and Prevention des États-Unis coordonnent en particulier au niveau mondial les importants efforts mis en œuvre pour éradiquer la méningite à cryptocoque.

En ce qui concerne la problématique du sida, un important effort doit aussi être réalisé pour lutter contre l’histoplasmose en Afrique et en Asie du Sud-Est, une maladie infectieuse du poumon causée par un champignon appelé Histoplasma. Le déploiement des meilleurs tests est notamment nécessaire. En effet, un trop grand nombre de patients se voit mal diagnostiqué, les médecins confondant leur infection avec la tuberculose, ou – dans le cas où les patients ont effectivement la tuberculose – ne détectant pas l’infection fongique létale qui les affecte également.

Le problème du champignon noir

En Inde, suite à la pandémie de Covid-19, la première épidémie à grande échelle de mucormycose s’est produite. Cette maladie est parfois appelée « champignon noir », car les champignons qui la causent bloquent l’approvisionnement en sang des tissus, provoquant leur noircissement et leur mort.

En 2012, mes collègues et moi-même avions estimé le nombre de cas annuels de mucormycose dans le monde à environ 10 000. Or, suite à la pandémie de Covid-19, environ 51 000 cas ont été signalés en Inde. Cette augmentation massive semble attribuable à des facteurs tels que l’utilisation excessive de stéroïdes pour traiter la Covid-19 (administration à des doses trop élevées, sur de trop longues durées), ainsi qu’à l’existence de nombreux cas de diabète mal contrôlé.

Durant la pandémie de Covid-19, les patients admis en soins intensifs partout sur la planète ont aussi été fréquemment touchés par des infections à Aspergillus et Candida. Le pic de maladies fongiques liées à la pandémie n’ayant pas été pris en compte dans l’élaboration de nos nouvelles données d’incidence et de mortalité dues aux maladies fongiques, il est possible que ces dernières aient été responsables d’un nombre de décès encore plus élevé.

La crainte d’une double épidémie grippe et d’Aspergillus

Les infections à Aspergillus sont aussi problématiques pour les personnes infectées par le virus de la grippe, dont l’état nécessite une hospitalisation en soins intensifs. L’incidence des infections mortelle dues à ce champignon est en effet particulièrement élevée dans ce contexte, le risque de décès des patients étant doublé, et ce même si Aspergillus est diagnostiqué. Médecins et scientifiques appréhendent donc particulièrement de voir se développer une double épidémie associant grippe (ou tout autre virus respiratoire) et infections fongiques.

Par ailleurs, il existe aussi une forte association entre allergie aux champignons et asthme sévère ou mal contrôlé. Or l’asthme est une affection courante, qui devient de plus en plus problématique à mesure que l’on vieillit. Les personnes dont l’asthme est d’origine fongique ont généralement besoin de prendre plusieurs médicaments, et sont régulièrement victimes de poussées de la maladie nécessitant visites aux urgences et hospitalisations.

Malgré les nombreux efforts mis en œuvre pour contrôler l’asthme, environ 461 000 personnes en meurent chaque année, directement ou indirectement (l’asthme pouvant venir agraver une situation liée à une autre maladie).

Pour finir, rappelons quand même que les maladies fongiques surviennent généralement chez des personnes déjà malades, même s’il existe quelques exceptions touchant des personnes en bonne santé, et des individus vivant ou travaillant dans des environnements problématiques, tels que des habitats particulièrement envahis de moisissures.

Soulignons aussi que ces infections ne vont pas disparaître, car les champignons sont présents non seulement dans notre environnement, mais également sur nous et en nous, à la surface de notre peau et dans nos intestins. Or, il n’existe pas de vaccins contre eux. Dans un tel contexte, le développement de méthodes de diagnostic précises et rapides, pouvant être déployées au moment opportun, est désespérément nécessaire. Il faut absolument que nous prenions les champignons plus au sérieux…The Conversation

David W. Denning, Principal Investigator, Manchester Fungal infection Group, University of Manchester
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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