Le combat n'est pas gagné

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Plus de 40 ans après une victoire acquise dans la douleur pour dépénaliser l’interruption volontaire de grossesse, le combat n’est toujours pas gagné. La génération des médecins militants des années 70 se retire, et laisse derrière elle un vide pour les femmes.

Le combat n'est pas gagné

Le choix. Dans les échanges avec les acteurs et les militants qui soutiennent l’accès à l’IVG, le mot revient sans cesse. Lorsqu’il s’agit d’avorter, les femmes doivent avoir le choix. Un choix éclairé, à la lumière des techniques et des dispositions légales. Un choix de lieu, en ville ou à l’hôpital. Un choix qui doit être en accord avec ce que l’acte représente pour la femme, et avec l’accompagnement dont elle a besoin.

Le 17 janvier 1975, la loi Veil est promulguée et dépénalise l’IVG. Aujourd’hui, 43 ans plus tard, son assise légale et médicale est incontestable. Ce qui ne signifie pas que l’accès à l’IVG soit un combat gagné d’avance.

Course contre la montre

Pourtant, la loi est claire : l’IVG est un droit, les femmes ont le choix entre une méthode médicamenteuse jusqu’à la fin de la 5e semaine de grossesse – jusqu’à la 7e dans un établissement de santé –, et jusqu’à la fin de la 12e semaine pour l’IVG par aspiration. Dans les deux cas, un protocole est bien établi, entre consultation d’information, acte et consultation de contrôle. Pour assurer l’égalité d’accès, l’IVG est remboursée à 100 % depuis 2013.

Mais des obstacles subsistent. Car si le choix de la méthode est inscrit dans la loi, sur le terrain, l’histoire peut être différente. « Dans certains territoires, il peut être difficile de réaliser une IVG médicamenteuse dans les temps », déplore Véronique Séhier, coprésidente du Planning familial. « Certaines femmes préfèrent la méthode instrumentale, mais il est très important d’avoir la possibilité de choisir. » Et ce choix n’est pas toujours possible.

Une génération qui se retire

Ces difficultés d’accès, Véronique Séhier les attribue à un manque de médecins disponibles – gynécologues et généralistes – pour réaliser des IVG médicamenteuses. « On manque de professionnels », ajoute-t-elle, englobant les sages-femmes qui, désormais, sont autorisées à les réaliser. Pour pratiquer des IVG médicamenteuses, les professionnels de santé doivent avoir signé une convention avec un centre hospitalier. Ce qui implique des démarches, une formation et, à la clé, peu de rémunération… Un engagement qui relève presque, de nos jours encore, du militantisme.

Pourtant, il se révèle d’autant plus important aujourd’hui qu’il y a quelques années, car les médecins militants à qui l’on doit la diffusion de l’accès à l’IVG, 40 ans plus tard, sont désormais retraités ou sur le point de tirer leur révérence. Et entre-temps, ils ont peut-être aussi un peu oublié la médecine de ville et son importance pour l’IVG. « Heureusement qu’ils étaient là dans les années 70 », souligne Elisabeth Paganelli, secrétaire générale du Syngof (1). « Mais ces médecins des premières heures n’étaient pas toujours en accord avec une sortie de l’IVG des centres, et ils ont peut-être un peu freiné sa diffusion vers les cabinets médicaux », estime-t-elle.

Manque de matériel et de personnel

Quel est le constat aujourd’hui ? Même avec le renfort des sages-femmes, le manque de professionnels conventionnés induit des inégalités territoriales. Pour Véronique Séhier, la revalorisation de l’acte passée en 2016 ne suffit pas. Il faudrait être encore plus incitatif pour convaincre les médecins généralistes de se conventionner.

Elisabeth Paganelli ajoute que, plus que l’argent, c’est le temps qui manque. « Une IVG médicamenteuse, c’est plusieurs consultations, et cela signifie être disponible au téléphone pour répondre aux inquiétudes des patientes », explique-t-elle. « En pratique, ce n’est pas facile », surtout pour des médecins généralistes déjà surchargés dans ces zones en demande. Il y a aussi un défaut d’information qui persiste. Le plan national IVG lancé en 2015 avait pourtant confié aux ARS cette mission, rappelle Véronique Séhier. Mais de ce côté, tout n’est pas si facile.

La communication officielle doit faire face aux campagnes médiatiques des anti-IVG, notamment sur Internet, mais ce n’est pas tout. Il n’est pas possible dans toutes les régions d’avoir accès à un document qui recense les professionnels de ville pratiquant l’IVG. « Dans ma région, le Centre, nous avons demandé à l’ARS de publier un listing, ce qu’elle a pour l’instant toujours refusé de faire », explique Elisabeth Paganelli. « Alors qu’à Nice, par exemple, on peut trouver un dépliant avec les professionnels conventionnés ». Si leur médecin traitant ne pratique pas d’IVG, les femmes sont donc souvent incitées à se rendre dans un centre ou un hôpital, parfois loin de chez elles.

Les sages-femmes à la rescousse ?

Quelles solutions ? Continuer à former. « Il est important que les jeunes médecins, les 30-40 ans, se forment à l’IVG », insiste Danielle Gaudry, gynécologue du Planning familial et formatrice. Cet enseignement doit s’appuyer sur la formation continue, bien sûr, mais également sur la formation initiale. « Il n’y a que quelques heures d’enseignement sur la contraception et l’IVG à la Faculté », regrette-t-elle. « Les futurs généralistes qui passent par un stage de gynécologie ou d’obstétrique auront les compétences. Mais pour les autres, ce temps n’est pas suffisant ».

Au Planning familial, médecins comme militants insistent également pour inclure les sages-femmes au maximum de leurs compétences. « L’IVG, qu’elle soit médicamenteuse ou instrumentale, n’est pas un acte compliqué. Elle l’est moins qu’un suivi de grossesse, par exemple », estime Danielle Gaudry. « Je revendique que les sages-femmes deviennent les spécialistes de la santé de la femme, dans la limite de la pathologie ».

Elles devraient, à ce titre, être autorisées à pratiquer des IVG instrumentales. « Elles en ont les capacités », complète Véronique Séhier. L’extension de leurs actes sur le terrain de la médecine pourrait à nouveau faire quelques remous. Compte tenu de la pénurie combinée sur l’ensemble du territoire de médecins généralistes et de gynécos, il n’y a pourtant pas tellement de souci à se faire sur une éventuelle perte d’activité…

 

(1) Syndicat national des gynécologues obstétriciens de France

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