Hypogondrie

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Critique de "Le livre des solutions", de Michel Gondry (sortie le 13 septembre 2023). Marc est un réalisateur aussi perturbé que génial, aussi loufoque qu'horripilant. Effondré que ses producteurs veuillent remanier de fond en comble son dernier film, il embarque ses rushes et son équipe pour en achever le montage clandestinement chez sa tante Denise, dans les Cévennes. Une fois sur place, il va se laisser emporter par sa créativité - et son hypomanie. 

Hypogondrie

Michel Gondry réalise un film à son image, foutraque et inégal. Mais attachant. 

Le film démarre bien. Il annonce en quelques scènes la fuite en avant que seront ces 1h45 de folie aussi créative que destructrice, et installe une bande de personnages tous plus attachants les uns que les autres, car animés d'un seul but : aider Marc à finir son film - et à ne pas sombrer dans la mélancolie. Michel Gondry ne se cache pas d'être atteint d'un trouble bipolaire, sans pour autant en faire commerce ou s'ériger en modèle, en figure d'identification - ce qui vaut mieux au vu de la multitude de "choses à ne pas faire" que Marc, à l'insight lunaire, accumule avec un déni bien appuyé. On retrouve dans son Livre des solutions son atypicité séduisante, son sens aigu de la débrouillardise, sa façon de cultiver son oeuvre - tel un paysan -, de diriger ses acteurs et d'en obtenir un suc inimitable, de les rendre décalés au premier sens du terme, à côté de la plaque qu'est la normalité. 

C'est beau et c'est drôle, souvent. Ca n'occulte pas non plus les aspects noirs de la bipolarité, l'épuisement de l'entourage en premier plan. Gondry, en raison de la foi qu'il accorde en l'imaginaire et en la création, gomme par contre la souffrance intérieure de son personnage, comme si cela ne l'intéressait pas. Il faut dire à sa décharge que ce n'est pas le sujet. Pourtant, c'est probablement pour cela que le film, bâti tout entier sur le principe de l'anecdote, pâtit assez vite de son absence de profondeur - ou de hors-champ mental - et de sa durée. Condamné à trouver une issue à cette succession d'anecdotes et de trouvailles, inégales bien que parfois sublimes, il finit par nous livrer une bluette improbable au sous-texte lourdingue - Marc accédant à une double paternité... Pierre Niney n'est pas en cause, bien que son choix soit particulièrement éclairant : si son jeu est d'une légèreté sans pareille, il s'accompagne de l'aspect lisse qu'il semble volontairement cultiver depuis plusieurs années - disons depuis qu'il a abandonné la Comédie-Française au profit d'un cinéma humainement et moralement bankable. Françoise Lebrun, qu'on avait laissée bien mal en point dans Vortex, est par contre un perpétuel enchantement, et apporte au film la synthèse parfaite de drôlerie et de gravité que Gondry n'atteint jamais réellement. 

Le livre des solutions dont il est question est au final un alibi dont Gondry se désintéresse assez rapidement, métaphore vite comprise de l'oeuvre impossible à achever et du peu d'attrait pour ce qui va ôter de la complexité au profit de l'ordre et de la norme. Le film peut se voir comme une phase hypomane : si au début, on est amusé et impressionné par l'énergie qui se dégage d'un cerveau en roue libre et par la mise à nu des pulsions débridées qui en résultent, le caractère enfermant et désorganisé de sa tachypsychie lasse rapidement. Et le spectateur se retrouve au final dans la même situation que Marc lors de la dernière scène - qu'on ne révèlera pas.

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