Folles alliées

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Critique de "Captives", de Arnaud des Pallières (sortie le 24 janvier 2024). Fanni se fait hospitaliser volontairement à la Salpêtrière, dans l’immense pavillon des aliénées, avec l'espoir d'y retrouver sa mère, dont elle a récemment appris la destinée : l'internement de force. En cette toute fin de XIXe siècle, l'asile est une prison qui ne dit pas son nom pour toute déviance pathologisée. Au sein de cet enfer, Fanni va découvrir parmi ses compagnes d’infortune des alliées précieuses.

Folles alliées

"Captives" est un film au départ intrigant et puissant, mais qui s'abîme dans un scénario totalement raté et contaminé par la caricature.

Voici donc un deuxième "Bal des folles", quelques années après le déjà bien moyen film de Mélanie Laurent, qui contait une histoire très similaire mais échouait pour des raisons diamétralement opposées. Nous ne remettrons pas en question la grandeur et la douleur du sujet, qui nous rappelle à quel point la psychiatrie est une spécialité régulièrement rattrapée par la tentation de contrôler les âmes, qui plus est quand elle y est incitée par une société avide de régulation. Arnaud des Pallières nous décrit parfaitement, lors d’un prologue d’une violence sèche assez impressionnante, à quel point le système était rodé, tentaculaire, sans issue ou presque. Son approche se fait sensorielle, âpre, les couleurs presque tropicales ne font qu’ajouter à l’étrangeté criarde qui s’en dégage. L’asile, chez lui, relève plus du romantisme de Delacroix et des charognes déliquescentes de Baudelaire que des portraits compassés peints par Géricaut. 

Avec cette approche quasi documentaire, on se dit que le réalisateur tient là une proposition radicalement originale et actuelle. On y croit encore quand il nous fait découvrir une Carole Bouquet encabanée depuis des lustres contre son gré par un frère captateur d’héritage dans un pavillon nabi, ayant recréé, avec la complicité d’un personnel soignant janusien, un microcosme régi par de multiples protocoles et coutumes. Tout semble consister à distinguer ce qui est délirant de ce qui ne l’est pas, et si ce délire est question d’individus ou d’institutions. Avec pour point culminant le fameux « bal des folles » dont on se demande de quel esprit dérangé il a bien pu germer. Cette Fanni qui vient récupérer une mère dont elle a vaguement entendu parler, ou bien encore cette Hersilie qui clame qu’on lui a ôté jusqu’à son nom, jusqu’à quel point leur raison est-elle perturbée ?

Cette faculté à brouiller les repères, de par une démarche immersive et l’entretien constant du doute induit par la fameuse folie raisonnante, sonnait comme une promesse. Pourtant, le film échappe rapidement à son auteur. Empêtré par une histoire qu’il échoue constamment à scénariser, médiocre enchaînement de simulacres de péripéties, sans enjeu et sans vraisemblance, son propos est d’autant plus abscons que ceux des protagonistes sont fréquemment inaudibles. Quant aux fameuses captives, si certaines, telles cette stupéfiante anorexique impeccablement campée par Agnès Berthon, sortent du lot, d’autres sont plus grotesques et, le foutoir narratif aidant, nous donnent parfois le sentiment d’assister à un long clip de Mylène Farmer, avec ses matonnes sadiques et ses faciès édentés et grimaçants. Seule Josiane Balasko nous permet d’appréhender la complexité du personnage que devait être Marguerite Bottard, nurse Ratched avant l’heure et âme damnée des mandarins et politiciens dont elle accomplissait les basses œuvres. 

Il est étrange de constater que, munis d’un tel matériau tout à la fois romanesque et historique, deux réalisateurs se soient à ce point heurtés à un mur. Comme si cette part sombre de notre passé - l’on pense aussi à la période de l’Occupation pendant laquelle tant de conduites troubles, au minimum passives, ont entraîné les aliénés sur la voie de l’inanition - était vouée à échapper à une restitution, à être refoulée aux frontières de l’entendement. Mélanie Laurent, dans son adaptation du « Bal des folles », optait pour le romanesque, et si sa narration était à son image, d’une efficacité à l’américaine, il ne fallait pas trop en demander question véracité - son héroïne spirite ayant pour principal don d’hérisser la fibre zététique de n’importe quel scientifique. Arnaud des Pallières, lui, achoppe sur l’aspect fictionnel. À eux deux, ils auraient fait le film parfait, en lieu et place de ces pâles versions. 

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