Faim de règne

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Critique de "Le règne animal", de Thomas Cailley (sortie le 4 octobre 2023). Le monde fait face à une vague de mutations émergentes qui transforment certains humains en animaux. C'est le cas de Lana, que son mari a dû se résoudre à faire interner dans un centre spécialisé. Emile, leur fils, tente de s'adapter aux changements que la situation impose. Mais bientôt c'est lui aussi qui se met à changer...

Faim de règne

Exercice brillantissime à la croisée des genres, le film peine cependant à émouvoir et est paradoxalement rattrapé par son efficacité, ainsi que par ses trop nombreuses références.

Que nous a-t-il manqué pour être emportés par ce Règne animal qui fait rugir de plaisir le monde du cinéma français et remplit les salles et la satisfaction des spectateurs. A la fois beaucoup et pas grand chose. Pas grand chose car le film dispose d'indéniables et nombreuses qualités, avec au premier plan une impressionnante maîtrise de la mise en scène, la caméra alerte et en perpétuelle réinvention de mouvement permettant de donner au récit une dynamique que le scénario n'aurait aucunement permis à lui tout seul. Une capacité, également, à investir un lieu et à nous le faire (re)découvrir - le Sud-Ouest n'a jamais été filmé de façon aussi sauvage. Les thèmes sont très actuels et entrent en résonance avec nos inquiétudes autant que nos aspirations. 

Il nous a cependant manqué l'essentiel, en tout cas une bonne partie du film, en tout cas une bien trop grande, au vu de son ambition. Cet essentiel, c'est l'émotion, tout simplement. Elle surviendra par moments, notamment à la fin, laissant poindre l'oeuvre bouleversante que ce récit d'apprentissage aurait pu donner. Hélas, Thomas Cailley semble tellement avoir fait primer l'efficacité sur le reste que les défauts n'en sont que plus apparents. Défaut d'histoire tout d'abord : après des débuts prometteurs dignes des meilleurs films et séries basés sur une catastrophe à grande échelle, le film se referme rapidement sur lui-même et au sein d'une communauté réduite à sa dimension caricaturale - disons, pour faire simple, de bons gros ploucs. L'enquête qui s'amorce n'en sera jamais vraiment une, elle devient d'ailleurs le principal ressort d'un mauvais humour, Adèle Exarchopoulos prêtant en vain tout son talent à un personnage sans utilité et sans profondeur. L'ampleur est sans cesse avortée, à l'image de cette scène de course-poursuite dans les champs qui bifurque d'une ambiance à la Stephen King et ses enfants du maïs vers une resucée de la Belle et la Bête. Avec de telles créatures chimériques, on aurait tant voulu être chez Cocteau, mais hélas l'on doit se contenter de Disney. Thomas Cailley a réussi à rivaliser avec les américains, et sa carte de visite est toute prête. 

Le film promettait pourtant une passionnante réflexion sur le sort réservé à la différence, surtout quand celle-ci est synonyme de danger potentiel. Le prologue est d'ailleurs essentiellement médical et entre singulièrement en écho avec les préoccupations qui avaient fondé le mouvement aliéniste en son temps. Malgré l'éblouissante interprétation de Paul Kircher, de tous les plans, et incarnant comme probablement jamais personne avant lui une progressive métamorphose, on aurait souhaité que Cailley ne laisse pas totalement de côté le personnage diffracté de la mère. Ce que l'on ne sait pas d'elle est suffisamment frustrant pour atténuer la force et l'intérêt d'une relation père-fils pour le coup archi-rebattue, à laquelle Romain Duris prête son habituel charisme, naturel mais limité. A l'image, finalement, du film.

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