Demi-deuil au cinoche avec Léa Seydoux

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Critique de "Un beau matin", de Mia Hansen-Løve (sortie le 5 octobre 2022). Une jeune femme, mère et veuve, vit sa première histoire d'amour depuis la mort de son mari au moment où elle doit s'occuper du placement de son père, atteint du syndrome de Benson. En livrant une part d'elle-même, la réalisatrice Mia Hansen-Løve fait le choix de l'esquisse et nous laisse à la porte de l'émotion. 

Demi-deuil au cinoche avec Léa Seydoux

Étrange coïncidence de calendrier que de voir deux des réalisatrices les plus reconnues et les plus intéressantes du moment - Mian Hansen-Løve, donc, mais aussi Rebecca Zlotowski - sortir un film directement inspiré d'un moment de leur vie. Comme si les périodes de confinement commençaient tout juste à montrer les effets que ce repli imposé a engendrés au cinéma, le retour à soi semblant en constituer la veine la plus évidente. Mais est-elle pour autant la plus remarquable?

Avec Un beau matin, Mia Hansen-Løve confronte à l'épreuve terrible du temps la juvénilité de Léa Seydoux, qui envisage son personnage comme la page vierge sur laquelle la réalisatrice pourrait projeter un ensemble d'émotions, de ressentis directement issus de sa propre expérience plus que comme un alter ego, un personnage existant pour lui-même. Sandra, ce pourrait être chacun de nous, cette intériorité qui est effleurée sans cesse, cette émotion juste exprimée et constamment fuie ou tue laissant libre cours à l'appropriation. Le film est d'ailleurs construit sur cette dichotomie intéressante, pas forcément volontaire, entre le corps et l'esprit. Sandra est ainsi un personnage existant avant tout par son corps, ce que ne manque de lui rappeler lourdement son amant retrouvé. Cette histoire est narrée assez platement et presque exclusivement sous l'angle du désir charnel - mis en scène en résonance avec la renaissance de cette femme troublée d'aimer à nouveau. Les émotions, pont entre le ressenti et l'intellect, semblent court-circuitées par le choix narratif constant de l'anecdote, les "instants de vie" ainsi superposés prenant peine à faire corps - justement - alors même qu'ils illustrent clairement les enjeux thématiques du film, variation autour de la mort d'une relation et de la naissance d'une autre que le destin va faire se condenser.

Cette césure, cette liaison impossible entre les enjeux intellectuels et affectifs, peut être vue comme une projection de la souffrance de Sandra - Mia ? - qui ne peut envisager que son père, impressionnant Pascal Greggory, disparaisse autrement qu'en opérant une distinction entre son enveloppe charnelle, envahie de plus en plus par la démence de l'atrophie corticale supérieure, et sa psyché, une impressionnante collection de livres semblant constituer sa survivance fantomatique.

"L'âme de mon père est dans cette bibliothèque", confiera-t-elle, plus en tout cas que dans l'EHPAD où elle finira par ne plus supporter de se rendre.

Sandra est ainsi un personnage qui subit constamment, au point que l'on a parfois l'impression, pas du tout #metoo, qu'elle vit son histoire amoureuse comme une échappatoire à cette impossibilité d'accepter que son père soit encore présent bien qu'absent à lui-même, plus que comme un réel choix. C'est un point de vue intéressant, que la réalisatrice peine cependant à faire vivre à l'écran, peut-être parce qu'il n'est pas assez assumé.

 

 

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