Déconstruisez-moi

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Critique de "Pauvres créatures", de Yorgos Lanthimos (sortie le 17 janvier 2024). Bella Baxter est une enfant née dans le corps adulte de la mère qui la portait. Ecrit comme ça, c'est un peu compliqué, mais le fantasque et inquiétant Godwin Baxter, son chirurgien de père, l'explique très bien. Cette Frankenstein au féminin qui ne connaît rien à la vie va la découvrir en confrontant sans le vouloir les humains, et singulièrement les mâles, à leurs contradictions et à leur vanité. 

Déconstruisez-moi

Yorgos Lanthimos signe une brillantissime relecture du conte gothique, lumineuse et féministe. D'une inventivité folle et constante, voici un film qui met en joie.

Respecter la tradition en y insufflant une folie visuelle toute personnelle et un message moderne proche de Barbie : voici le pari réussi de Yorgos Lanthimos, cocktail parfait de ce début d'année, mêlant un humour pipi caca à un double geste architectural, narratif et pictural, roman d'apprentissage découpé en chapitres et évoluant au sein d'un univers totalement réinventé, sorte de calque légèrement décalé, et littéralement scruté par le bout de la lorgnette, de notre cher vieux monde.  

Bella Baxter est interprétée par une Emma Stone survoltée et généreuse, qui ose tout pour rendre crédible et émouvante l'évolution de son personnage. Au début, on craint un peu le pire tant tout cela vole bas, alors même que la jauge d'effets visuels - effets de manche - est à son maximum. Mais la force du film repose justement dans sa totale confiance en lui-même, dans l'orgueil d'un geste qui nous rappelle les premiers Caro et Jeunet. Il y a aussi chez le réalisateur un surprenant renoncement à toute forme de cruauté, une volonté de se placer du côté des plus faibles - même le savant fou, joué par un Willem Dafoe qu'on a rarement vu si tendre, est un touchant fêlé abîmé par la cruauté patriarcale - et de leur lumière. Et celle-ci jaillit de tous les étages de cette pièce montée plus baroque que gothique.

Chaque chapitre narre l'émancipation de Bella, qui fait le tour du monde comme celui de sa propre histoire, dans un mouvement réflexif qui fait qu'en devenant son propre objet et outil d'étude elle est déjà pleinement dans l'émancipation. En cela, elle se singularise radicalement du mythe de la créature, réconciliant le ça et surmoi en un pied de nez à la psychanalyse machiste, les risibles rejetons du patriarcat étant constamment ramenés à leur condition de caricature vaudevillesque, tandis que l'homme déconstruit remportera la mise. 

 

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