Comment est ta peine ?

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Critique de "Je verrai toujours vos visages" de Jeanne Herry (sortie le 29 mars 2023). La justice restaurative est un dispositif mis en oeuvre par le Ministère de la Justice en France depuis 2014. Elle vise à faire dialoguer une victime et un auteur d'infraction, sous différentes formes, mais toujours dans un processus de réparation de l'une et de responsabilisation de l'autre.

Comment est ta peine ?

Jeanne Herry a voulu découvrir ce qui se cachait derrière cet univers naissant et a décidé d'utiliser la fiction pour en faire ressortir les richesses. Assurément, il y avait matière.

Pupille, le précédent film de Jeanne Herry, explorait avec subtilité le monde de l'aide sociale à l'enfance et des services d'adoption en décrivant le parcours d'un bébé né sous X. Par ce biais, elle nous faisait découvrir chaque aspect d'un processus fragile et complexe sans jamais renoncer à la fiction, nous offrant un récit documenté mais jamais documentaire. Il lui fallait une sacrée foi en ce qu'elle voulait cette fois-ci transmettre, mais aussi en sa capacité à y réussir, pour qu'elle s'y reprenne de façon aussi semblable avec son nouveau film. Il faut croire que cette "récidive" a payé: Je verrai toujours vos visages est un film assez exceptionnel.

Il y a deux histoires dans le film, ou plutôt deux trajectoires : l'une, très circulaire, dévoile un espace de rencontre et de discussion entre auteurs et victimes de vol avec violence, leur point commun étant de ne pas se connaître au préalable ; l'autre, plus rectiligne, correspond au parcours d'une jeune femme ayant été violée par son demi-frère et qui, à la sortie de prison de celui-ci, veut passer par une médiation afin de ne pas risquer de retomber sur lui par hasard. Ce sont deux enjeux totalement différents, deux façons presque opposées de conduire le processus de médiation, et c'est la description de ce travail, de ces deux aspects, qui est le premier grand intérêt du film. Si dans le premier cas il s'agit de rendre la circulation de la parole la plus fluide possible, pour laisser survenir la compréhension réciproque et, peut-être, la rencontre empathique, dans l'autre le procédé est bien plus périlleux, le terrain plus miné, la préparation de la rencontre plus ardue. Jeanne Herry réussit parfaitement à distinguer les enjeux, à montrer à quel point les mots peuvent, en fonction du contexte et du but dans lequel ils sont utilisés, être soit destructeurs soit libérateurs. Et elle sait, grâce à son scénario, entremêler ces deux histoires sans que jamais l'intérêt de l'une en soit diminué au profit de l'autre. 

Mais il nous semble que la puissance du film réside ailleurs, et nous avons pu l'expérimenter lors de la séance à laquelle nous assistions. Puissance d'autant plus étonnante que le film n'est pas exempt de défauts : l'habit, pour beau qu'il soit, est tissé de coutures parfois trop visibles, les symboles appuyés - le liant se concrétisant systématiquement par des scènes de nourriture. Et pourtant, il s'y passe quelque chose de très intérieur, d'assez profond. Il est rare que l'on ressorte d'une salle de cinéma en ayant le sentiment d'avoir à ce point appris et ressenti quelque chose - cet apprentissage étant permis par le ressenti et réciproquement. Le spectateur éprouve quels chemins peut emprunter ce processus localisé quelque part entre la réparation et la consolation. La réalisatrice peut remercier ses acteurs d'avoir su à ce point respecter le dosage entre intensité et subtilité que le sujet requérait, avec au premier plan une Elodie Bouchez confondante d'authenticité et d'accessibilité, un Dali Benssalah magnétique dont on ressent le cheminement, ou encore une Adèle Exarchopoulos qui n'avait jamais été aussi sobre depuis sa Palme d'Or.

Au moment du générique de fin, les applaudissements étaient mêlés au silence respectueux de l'expérience que la plupart semblait avoir vécue. Comme devant Pupille, l'on pourrait tiquer face à la mécanique parfaitement huilée d'une procédure qui finit bien, crier à un optimisme naïf ou intentionnel. Et, comme devant Pupille, on préfèrera retenir que l'abnégation et l'engagement sont ce qui permettra probablement à notre société de tenir debout, malgré tout.

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